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Expériences naturelles de philosophie par Dominique Sénore

Publié le jeudi 5 juillet 2007.


Docteur en Sciences de l’Education, Dominique Sénore est Inspecteur de l’Education nationale détaché à l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) où il est chargé de mission "école primaire".

Il a successivement été Instituteur, Instituteur spécialisé (en classes de perfectionnement, instituts de rééducation, maisons d’arrêt), Directeur d’établissement spécialisé (institut de rééducation et centre hospitalier spécialisé) et Inspecteur de l’éducation nationale.

Il a eu la responsabilité pendant 6 ans d’une circonscription spécialisée (SEGPA et instituts de rééducation et médico-éducatif) et de l’unité des formations pour l’AIS de l’IUFM de Lyon.

Depuis 1998, il est chargé de mission "Ecole primaire" à l’INRP, plus spécialement chargé de coordonner une recherche nationale (échantillon de 1715 écoles) afin de déterminer les effets des modes d’organisation pédagogique et de partenariat entre les intervenants sur les apprentissages et le comportement des élèves.

Parallèlement, il suis plusieurs actions de recherche accompagnement dont "développer une communauté de chercheurs philosophes de la maternelle au collège" et "naître à l’art".


- Ces actions placent l’élève face à des énigmes plus que face à des connaissances. Il se retrouve en situation de devenir co-fabriquant de pensée. L’enseignement de la philosophie[1] n’est inscrite ni au programme de l’école élémentaire ni à celui du collège. L’objectif n’est donc pas de trouver la bonne réponse, pas même de trouver forcément des réponses. Il est de permettre à des élèves de co-fabriquer de la pensée. Il s’agit plus de pratiquer une espèce de solidarité devant des énigmes (les questions posées aux élèves leur permettent de se poser ces questions) pour parvenir à pratiquer dans la classe, au quotidien, cette même solidarité et parvenir ainsi à faire définitivement le deuil d’une pédagogie exclusivement transmissive

- L’esprit philosophique n’advient pas, un jour, en classe de terminale. Il se prépare. Ces moments de réflexion proposés aux élèves qui s’interrogent alors sur le rapport au monde sont autant de moments qui facilitent l’émergence de la pensée. Les élèves sont alors, effectivement, co-penseurs des grands problèmes qui les entourent.

- Le fait d’être confronté à des énigmes, d’élaborer de la pensée, ne dispensent pas de se situer par rapport à des grands champs de pensée et de pointer le registre dans lequel la pensée se construit : connaissance, croyance, information, opinion, conviction ou certitude.

- L’enjeu du moment philosophie est de donner un nouveau statut social à l’élève, quels que soient son niveau et ses résultats scolaires. Ce temps offre les jalons pour que la philosophie, discipline enseignée plus tard, au lycée, ait de solides assises.

- L’élève est questionné, face à une énigme ; il se voit conférer un statut particulier, il se sent en recherche de sens, il s’engage dans sa propre pensée, prend confiance en lui car on a confiance en lui (nous passons du “on” impersonnel au “on” investi).

- Ce que l’élève apporte est accueilli comme pièce fondatrice d’un puzzle. Il est reconnu comme interlocuteur valable. Apportant, il devient alors IMPORTANT, être interrogatif plutôt qu’affirmatif.

- D’objet à sujet à comprendre ici avant tout comme ÊTRE car on est avant que d’être sujet, l’élève est reconnu avant même d’être connu et la communauté scolaire anticipe sur ses capacités à réussir.

- Ces pratiques se fondent sur ce que l’on pourrait nommer une éthique de la délibération, une éthique de la discussion. Elles mettent en avant l’autonomie du sujet telle que la définissait KANT, comme étant le rapport de la liberté à la Loi.

- Loin d’enfermer les pratiques sur leur histoire, ces modalités sont autant d’ouvertures qui offrent à chacun le droit et le pouvoir de devenir oeuvre de soi-même , comme l’écrivait, en 1797, PESTALOZZI.
- Trois modes d’élaboration de la pensée :

1. Cycle 1 : les enfants sont sur le registre du ressenti personnel, de ce qui fait écho en eux. Ils expriment leurs désaccords, prennent appui sur les désaccords pour s’exprimer.

2. Cycle 2 : la pensée devient factuelle, empreinte de réalisme. Les élèves utilisent les tautologies (le vert n’est pas marron !). Ils s’expriment en complément d’une intervention avec laquelle ils se sentent en accord.

3. Cycle 3 : Le point de vue du tiers est pris en compte. Les élèves parlent moins, s’affrontent moins, comme s’ils craignaient de se séparer en nommant leurs différences de pensées. Ils cherchent à se rassembler en se ressemblant.

- Des prolongements sont envisageables, en fonction des cycles :

dessins, textes, mais aussi confrontations avec ce que pensent d’autres enfants, des adultes par échanges de cassettes vidéo, par exemple.

On peut aussi envisager des recherches documentaires, en lien plus étroit avec les programmes en vigueur dans différentes disciplines.

- Construire du savoir, de la connaissance, à partir du questionnement[2]

La question posée aux élèves, dans le cadre de la “ communauté de chercheurs philosophes, de la maternelle au collège ” ne s’inscrit donc pas dans une logique de transmission, mais plutôt dans une logique d’appropriation de connaissance. Sans doute ce moment évite-t-il à l’enseignant le constat à la fois douloureux et agressif de l’élève qui ne comprend pas. Aucune des séances conduites et proposées aux élèves des trois cycles ne s’est soldée par ce constat. Une seule fois, des élèves du cycle trois ont demandé à l’enseignant de suspendre une séance car ils trouvaient le sujet intéressant mais trop difficile sans préparation. Le sujet fut repris la semaine suivante avec succès, c’est à dire que les élèves avaient de la matière pour discuter et échanger.

Pour beaucoup d’élèves d’origine populaire, apprendre est une activité du professeur et non pas celle de l’élève. Pour beaucoup d’entre eux, c’est l’enseignant qui est actif en classe. L’élève doit être présent (c‘est déjà bien ! ), ne doit pas trop “déconner”, et à partir de ce moment là, il a fait l’essentiel de ce qui relève de sa responsabilité. Ce qui est important est plus de passer dans la classe supérieure que de savoir. En fait, ces élèves sont dans une logique du “on m’a appris”, et pas dans la logique du “j’ai appris”.

Enfin, le moment philo permet à chacun des élèves de mieux saisir les objectifs d’une pédagogie active, de comprendre qu’apprendre c’est essentiellement avoir une activité intellectuelle. Bernard CHARLOT cite cet entretien qu’il a conduit avec une petite fille de l’école primaire : “ elle expliquait que sa maîtresse était une fainéante, parce qu’elle ne voulait jamais faire de leçons. Elle donnait des exercices, sans faire les leçons avant. L’élève était indignée. C’était même encore pire que cela : quand l’élève ne comprenait pas, elle allait demander au professeur qui répondait “allez demander à vos camarades”. Pour l’élève, “ c’est pas les camarades qui sont payés, c’est la prof, c’est donc à elle de faire son travail ”.[3]

- Enfin, comme en Gestion de type institutionnel, · Le maître est relativement effacé ; il garde un certain pouvoir.

· Les élèves disposent du droit d’instituer les règles.

· Les contenus sont proposés par le maître dans le cadre d’un projet fédérateur (Les sujets de réflexion peuvent l’être aussi par les élèves).

· Les conflits sont réglés en conseil, avec le maître, ultime garant de l’ordre


Notes

[1] Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler quelques définitions concernant la philosophie. Historiquement, autrefois et jusqu’au 18ème siècle, la philosophie était synonyme de science. Aujourd’hui, le sens le plus fréquent est celui d’un système de réflexion critique sur les problèmes humains de la connaissance et de l’action. (In Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines. L-M MORFAUX. Armand Colin, 1995).

[2] Le questionnement est défini ici comme étant une question que l’on pose à un élève ; une question dont seul l’élève détient des éléments de réponse.

[3] B. CHARLOT, Le rapport au savoir, in La nouvelle revue de l’AIS., n°1, deuxième trimestre 1998, Editions du centre national de Suresnes, page 49.


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