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Pourquoi ai-je choisi de donner de la place à des ateliers de débat philosophique dans la classe de CM depuis cinq ans ? par Patricia Roux

A l’époque professeur des écoles - Ecole Paul Blet - Poitiers ; Aujourd’hui conseillère pédagogique
Publié le jeudi 5 juillet 2007.


Mon intérêt pour la philosophie a commencé en 1997. J’allais quelquefois dans un café philo de la ville de Poitiers. Là, j’ai rencontré des gens comme moi, qui n’avaient qu’un vague souvenir de philosophie de terminale dans la tête mais qui prenaient plaisir à échanger, à livrer leur pensée, à écouter celle des autres. J’ai lu quelques écrits, que certains diraient être une vulgarisation de la philosophie, mais qui m’ont permis de mener une réflexion plus approfondie.

Petit à petit, je me suis aperçue que le mot philosophie n’était pas forcément un mot réservé à des professionnels mais que chacun, avec ce qu’il était, pouvait exercer sa pensée, sa raison.

J’ai eu la chance de croiser un professeur de philosophie, Monsieur Chazerans, père d’élève de ma classe qui commençait à mener diverses actions dans des classes de SEGPA, dans un café philo. Nous avons alors décidé de tenter l’expérience dans ma classe de CM2.

Christian Bobin dit, dans L’inespérée : « Regardez les vêtements des pauvres. Regardez les souliers des pauvres. Regardez les maisons des pauvres. Vous aurez beau regarder, vous ne connaîtrez rien de la pauvreté tant que vous n’aurez pas vu le visage des pauvres devant la parole de ceux qui savent, décident et jugent... Les pauvres devinent que cette parole sûre d’elle leur vole le monde, que cette parole somptueuse et l’injustice qui leur est faite est liée, profondément liée... Cette distance insensée entre la personne et ce qu’elle dit est source de toute emprise sur le monde... »

J’avais envie que la relation scolaire propose du temps, de l’espace pour des paroles, la sienne et celle des autres, des paroles autres que celles utilisées dans les moments de réunions de vie ou dans les moments spécifiques d’apprentissage, une parole sur l’être et l’avoir.

Pour moi, cette démarche touche à trois domaines fondamentaux essentiels pour grandir et apprendre : la psychologie, la sociologie, la philosophie.

La psychologie : l’élève est un être en devenir et plus on va le reconnaître en tant qu’être pensant, plus on va lui renvoyer une confiance nécessaire à son autonomie.

La sociologie : l’élève n’est pas seul dans la classe, il fait partie d’un groupe et à ce titre, il est un citoyen en devenir ; les échanges sont à la base de toute éducation à la citoyenneté, à la base de tout apprentissage.

La philosophie :

Un moment d’apprentissage gratuit dans le sens où aucun des thèmes abordés ne sera évalué, où la parole n’est pas évaluée : les enfants qui interviennent peu construisent néanmoins leur pensée à l’écoute de celle des autres .

Un moment où on choisit démocratiquement le thème sur lequel on a envie de s’interroger.

Un moment où on va prendre en compte la parole de l’autre, la respecter, la contredire ou abonder dans le même sens.

Un moment où on va mettre en mot sa pensée, où on va argumenter, mettre en forme des raisonnements.

Un moment où on va identifier ses représentations, s’interroger sur la validité de ses sources d’informations. La simple confiance, le rapport affectif ne suffisent pas pour reconnaître exacte une information.

Un moment où on va réfléchir à haute voix, reconnaître ses contradictions, ses erreurs et où on va accepter de se tromper devant les autres.

Un moment où on ne va pas chercher forcément de réponse, où on va préciser des mots, des notions .

Le débat philosophique permet l’expression de la pensée et la construction de la pensée : « Je la découvre en moi et c’est parce que je la découvre en moi que je peux la reconnaître chez les autres. »

C’est pour moi, un éveil de la pensée réflexive chez l’enfant, une recherche de sens de ce qu’on dit, de ce qu’on pense par le raisonnement et l’argumentation.

Avec quatre ans de pratique régulière, on s’aperçoit que le cheminement de pensée n’a rien de linéaire. Dans chaque débat, on retrouve toujours des moments où les échanges s’installent de manière répétitive, comme pour se rassurer ou éviter de continuer à approfondir, des moments où la réflexion repart , déclenchée par la proposition d’un élève, des aller-retour.

L’élève prend confiance en ses capacités de réflexion tout en mesurant que toute pensée se heurte puis s’enrichit de la différence. C’est lui permettre ainsi de sortir d’une parole égocentrique.

Cette démarche participe pour moi d’une démarche plus générale autour des apprentissages à savoir la prise en compte de la représentation initiale des élèves dans quelque domaine que ce soit ainsi que la mise en place de situation de recherche, de tâtonnements successifs et d’échanges pour découvrir une notion, un concept.

Il m’est difficile d’évaluer objectivement l’impact réel de ces moments de réflexion. Ce que je sais, ce que je vois, c’est le changement d’attitude des élèves au fil des mois face aux apprentissages : ils osent dire ce qu’ils croient savoir sur n’importe quelle notion, ils se donnent le droit à l’erreur, et surtout ils cherchent et se questionnent . Les moments spécifiques de philosophie contribuent , je pense, à approfondir une démarche plus générale de ce qu’est l’acte d’apprendre.

Les premières expériences de débat ont eu lieu, il y a quelques années maintenant, au Canada. Dans celles que nous avons menées au départ avec Monsieur Chazerans, il m’était plus facile d’utiliser le terme « débat » que « débat philosophique », je plaçais plus ces moments dans une démarche d’éducation à la citoyenneté. C’était peut-être plus facile pour moi de me justifier auprès de l’institution.

Aujourd’hui, je suis très heureuse de voir l’intérêt porté à la philosophie pour enfant et j’ai le souhait de la voir se développer. Il suffit de regarder, d’écouter les enfants en difficulté dans les débats philosophiques pour en mesurer l’importance, à tel point que le regard de l’enseignant qui les voit souvent en difficulté change.

Reconnaître chaque élève en tant qu’être pensant est à mon sens essentiel .

Pour finir, je citerai Albert Jacquart dans L’équation du nénuphar : « Les échanges sont la clé du mystère humain. » Eduquer c’est donc initier un enfant au jeu des échanges, échanges réciproques avec ceux qui l’entourent, échanges univoques avec les humains et les civilisations d’autrefois et d’ailleurs. Quelque soit le contenu , mathématique, physique, histoire, ou philosophie, l’enseignement n’a donc pas pour finalité d’apporter du savoir, mais au moyen du savoir, de fournir les meilleures voies pour participer aux échanges.


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