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Une expérimentation collective de la philosophie en primaire : Le groupe de recherche-formation de Strasbourg par François Galichet

Professeur à l’IUFM d’Alsace
Publié le jeudi 5 juillet 2007.


L’idée de développer la pratique de la philosophie avec de jeunes enfants est née aux Etats-Unis, avec les travaux de M.Lipman. De nombreux autres pays ( Brésil, Canada, Belgique) ont repris cette idée avant qu’elle ne vienne en France, il y a deux ou trois ans.

Dans notre pays, elle a pris diverses formes dont Michel Tozzi a dégagé les cinq principaux axes[1] : - une approche langagière, qui privilégie l’apprentissage de la maîtrise de la langue, de l’expression orale et écrite, des règles et techniques de l’argumentation - une approche citoyenne, qui voit dans le débat philosophique un prolongement de la pédagogie coopérative et institutionnelle, permettant l’éducation à la citoyenneté, et notamment l’apprentissage du respect d’autrui, de l’écoute, de la recherche en commun de valeurs - une approche spécifiquement philosophique, qui est celle de Lipman lui-même, visant à constituer la classe en « communauté de recherche » - une approche « psychanalytique », qui voit dans la discussion philosophique un moyen de favoriser la construction, par l’enfant, de son identité, et de surmonter les angoisses et les fantasmes liés, pour beaucoup, à des problèmes « existentiels » tournant autour de la mort, du rapport aux parents, du besoin de reconnaissance et d’estime de soi, etc. - enfin, une approche « culturelle », qui considère que la pratique de la réflexion philosophique dans les classes et quartiers dits « défavorisés » ( CLIS, SEGPA, ZEP, etc.) est susceptible de contribuer à restaurer le désir de savoir que l’échec scolaire de ces enfants a fortement entamé.

La démarche du groupe de Strasbourg, telle qu’elle était définie au départ, n’était pas de trancher entre ces diverses orientations. Elle était de développer à l’école élémentaire une démarche de réflexion sur des questions fondamentales, qui ne se réduise ni à un enseignement plus ou moins rénové de la morale, ni à une forme d’éducation à la citoyenneté. Il s’agissait en somme de refuser toute instrumentalisation de cette réflexion, que ce soit au service de fins éthiques, civiques ou encore didactiques. S’il est vrai en effet que l’une des grandes finalités de l’école est de réaliser un certain nombre d’apprentissages, il ne s’ensuit nullement que toute activité à l’école soit à juger exclusivement à l’aune des apprentissages qu’elle permet. Les apprentissages visent à installer chez l’enfant un certain nombre de compétences ; or celles-ci sont définies par les circonstances particulières de la société et de la culture dans lesquelles l’enfant est appelé à vivre. Elles sont donc toujours relatives, même si certaines ( lire, écrire, calculer, raisonner, etc.) semblent aujourd’hui incontournables, et par conséquent universelles. Mais avant de faire partie d’une société ou d’une époque déterminée, l’enfant est homme, « jeté », comme l’écrit Heidegger, dans la déréliction d’une existence qu’il n’a pas choisie. Cette déréliction première fond un droit à philosopher, qui est tout simplement un droit à tenter de penser la signification de sa propre existence. La pratique de la philosophie à l’école est donc l’exercice d’un droit fondamental de l’homme, bien avant d’être l’apprentissage de compétences.

Reste que l’exercice de ce droit passe par le développement de capacités spécifiques. Celles-ci, pour suivre encore l’analyse de Michel Tozzi, peuvent se résumer à trois compétences principales : - conceptualiser, ce qui signifie aller au-delà du sens littéral ou lexical des mots, tel qu’on peut le trouver dans le dictionnaire, pour réfléchir sur les représentations spontanées, les usages sociaux et culturels des notions, leurs domaines d’application ou de pertinence, etc. - problématiser , ce qui signifie aller au-delà des questions immédiates que chacun peut formuler à soi-même et aux autres ( Pour ou contre la peine de mort ? Faut-il ou non dépénaliser l’usage des drogues ? etc.) pour remonter jusqu’aux enjeux véritables de ces questions ( Quelle valeur la vie humaine a-t-elle par rapport aux autres vies ? Y a-t-il une normalité en soi, indépendante des circonstances, etc.) - argumenter, ce qui signifie dépasser la simple accumulation d’arguments « pour » ou « contre » énumérés en désordre pour tenter d’établir de véritables chaînes de raisonnement, ou encore de classer les arguments en fonction de leurs domaines de référence ou de leur fondement.

Sur ces bases, plusieurs membres du groupe, professeurs d’école dans des zones difficiles ( ZEP de Hautepierre ou du Neudorf) ont entamé une expérimentation régulière de la discussion philosophique, soit dans l’horaire normal de la classe ( essentiellement CM1-CM2 ), soit dans le cadre de demi-groupes se réunissant dans la BCD.

Constitution du groupe

L’origine du groupe est lié à une spécificité alsacienne. Comme on le sait peut-être, en vertu du concordat, la religion est enseignée en Alsace dans le cadre de l’horaire scolaire. Les trois religions concordataires sont représentées : catholicisme, protestantisme, judaïsme. En revanche l’islam ne l’est pas.

Comme cet enseignement ne saurait bien évidemment est obligatoire, les élèves dont les parents ne souhaitent pas qu’ils le suivent sont regroupés par niveau pour recevoir, pendant cette heure, un enseignement de morale assuré par un des professeurs de l’école.

Il se trouve que dans une école de Hautepierre, l’un des enseignants chargé de cette séquence avait fait des études de philosophie et entendu parler des essais de débat philosophique avec les enfants. Il m’a contacté en me proposant de tenter l’aventure. Pendant près d’un an, nous avons donc eu une séance hebdomadaire avec l’équivalent d’une demi-classe, ceux qui n’allaient pas en religion, et qui pour l’essentiel, étaient des enfants de familles musulmanes d’origine maghrébine, turque ou africaine !

Cela nous a permis de débattre avec les enfants, semaine après semaine, de sujets comme : « Qu’est-ce qu’un ami ? », « Pourquoi va-t-on à l’école ? », « Pourquoi parle-t-on ? », « En quoi les hommes sont-ils différents ? », etc.

Mais avant la fin de l’année, les événements ont pris une tournure imprévue. L’enseignant pratiquait la pédagogie institutionnelle ; et un jour, au conseil, un élève parmi ceux qui allaient en cours de religion a posé la question : « Pourquoi certains ont-ils droit à faire de la philosophie et pas les autres ? ».

La question même est intéressante. D’abord, quant à son origine : la discussion a montré que les enfants avaient parlé entre eux, et que ceux qui faisaient de la « philosophie » ( le mot avait été introduit d’emblée par nous et inscrit au tableau au début de chaque séance) se vantaient auprès des autres comme d’un privilège qui sonnait un peu comme une revanche, puisque, rappelons-le, il s’agissait principalement d’enfants n’ayant pas « droit » à l’enseignement de la religion qui était celle de leur famille et de leur culture. La philosophie leur apparaissait ainsi, non pas tant comme un succédané de la religion ( ils percevaient fort bien la différence, et ce fut même l’objet de l’une des séances ), mais plutôt comme une alternative.

Ensuite, quant à sa formulation : l’emploi du mot « droit » indique bien que les enfants avaient perçu qu’il ne s’agissait pas d’une discipline parmi d’autres, qu’on peut étudier ou non, selon les circonstances, les programmes, les niveaux - mais comme une exigence fondamentale, une composante essentielle de leur éducation. Ceci, alors qu’auparavant ils n’en avaient jamais entendu parler et que le mot même n’a pas été défini pour eux : c’est seulement à la fin de l’année, lors de la dernière séance, que le sujet : « Qu’est-ce que la philosophie ? » a été proposé et débattu.

A la suite du conseil, il fut décidé de satisfaire la revendication des « plaignants » ; et par conséquent l’heure de philosophie fut déplacée afin que tous les élèves de la classe puissent y participer à égalité.

L’histoire, racontée dans le groupe de pédagogie institutionnelle dont faisait partie l’enseignant, suscita des émules de la part de collègues qui eux aussi, assuraient des cours de « morale » pendant l’heure de religion. Ainsi se constitua, au début de l’année suivane, un groupe d’enseignants décidés à organiser régulièrement des discussions philosophiques dans leurs classes.

Le groupe comportait initialement six personnes : 4 professeurs d’école, pratiquant tous, à des degrés divers, la pédagogie institutionnelle ; une institutrice de l’enseignement privé en retraite, qui continuait à effectuer de nombreuses interventions dans le primaire et le secondaire, sous forme d’ateliers fonctionnant pendant les interclasses et le mercredi ; et enfin moi-même, professeur de philosophie à l’IUFM.

Mais au fil des mois, le groupe s’est progressivement élargi. En effet, les actions de formation réalisées par le groupe, et dont il sera question plus loin, ont amené un certain nombre de personnes à venir spontanément aux réunions, sans faire partie officiellement du groupe : professeurs d’école ayant participé à un stage de formation continue, et stagiaires PE2 réalisant un mémoire professionnel sur la question.

De sorte qu’au total, c’est une douzaine de personnes qui ont participé aux réunions, certaines régulièrement ( le « noyau » initial du groupe), d’autres de façon plus irrégulière en raisons de leurs contraintes.

Avancement de la réflexion au cours de la première année ( 2000-2001)

Le bilan intermédiaire rédigé à l’issue de la première année de travail mentionnait que dans l’ensemble, le travail avait plutôt porté sur les deux premiers processus : conceptualiser d’une part, problématiser d’autre part.

En témoigne la formulation des questions traitées, dont beaucoup commençaient par « Qu’est-ce que... ? », ce qui marque le caractère « ontologique » de la réflexion . Ainsi par exemple :
- Qu’est-ce qu’un ami ?
- Qu’est-ce qu’une famille ?
- Qu’est-ce qu’une grande personne ( un adulte) ?
- Qu’est-ce qu’aimer ?
- Qu’est-ce qu’être sage ?
- Qu’est-ce qu’être raciste ?
- Qu’est-ce qu’être normal ?
- Qu’est-ce qu’être violent ?
- Qu’est-ce qu’être français ?
- Qu’est-ce qu’être libre ?

Les débats développés autour de ces notions ont permis de montrer que les élèves de l’école primaire sont parfaitement capables d’analyser un concept, d’en distinguer plusieurs significations ou niveaux de pertinence. Assez souvent, cette réflexion s’est développée spontanément autour d’un couple de concepts antagonistes ( par exemple : ami/copain, adulte/enfant ), ce qui illustre la démarche décrite par Britt-Mari Barth sous le nom « d’induction guidée par contrastes »[2]. On trouvera en annexe le script d’une séance sur le thème « Qu’est-ce qu’être normal ? » , ainsi que l’analyse qui a été faite de la séance sur « Qu’est-ce qu’être libre » pour tenter de dégager, à partir des productions écrites des élèves, les différentes significations implicites de la liberté qu’elles comportent.

Concernant le second axe ( problématisation), plusieurs séances ont eu lieu autour d’une question, comme par exemple :
- Est-ce que tout le monde est pareil ? ( ou, dans une autre classe : Pourquoi sommes-nous différents ?)
- A-t-on le droit de tout faire ?
- Pourquoi va-t-on à l’école ?
- Pourquoi rigole-t-on ?
- Pourquoi y a-t-il de la méchanceté ?

etc.

Un premier point est donc d’ores et déjà acquis : les pratiques du philosopher en classe, selon le texte d’un manifeste récemment publié, « accompagnent l’émergence de sujets qui se construisent dans la maîtrise d’un échange visant l’élaboration d’une pensée réflexive », et « elles promeuvent, dans un contexte de crise du sens de l’école, un rapport non dogmatique au savoir et une relation plus coopérative à la parole, au pouvoir et à la loi »[3].

Outre le point qui vient d’être souligné, plusieurs conclusions ont été dégagées par les participants du groupe à l’issue des expériences de la première année :

1°) La pratique de la réflexion philosophique en commun s’inscrit parfaitement dans un contexte de pédagogie coopérative et institutionnelle. D’un côté, elle bénéficie des structures et des habitudes mises en place dans le cadre de celui-ci ( présidence, prise de parole à tour de rôle, etc.), d’un autre côté elle la renforce en permettant d’en dégager les fondements et les justifications ( dans le cadre des séances sur la violence, c’est la notion même de loi qui a été interrogée, ainsi que les principes et les limites de la notion de démocratie). Toutefois, ce contexte n’est pas nécessaire, mais la pratique du philosopher peut favoriser l’évolution progressive de la classe vers l’élaboration d’institutions ( conseil, etc.)

2°) La régularité des séances est un élément essentiel. Tous les participants du groupe ont noté qu’au début, les débats étaient souvent assez pauvres, répétitifs, constitués essentiellement d’une accumulation d’exemples - donc proches d’un « quoi de neuf ». Il a fallu que les enseignants bataillent constamment pour bien marquer la différence entre celui-ci et le débat philosophique. Ils ont noté que peu à peu la capacité d’abstraction, de distinctions fines, voire subtiles, d’écoute des arguments des autres, de synthèse, se développait. A tel point que lorsqu’il s’est agi, dans une classe, d’aborder la notion de liberté, les enseignants avaient jugé que cette notion était trop difficile pour être abordée directement, et ils ont eu l’idée de recourir à une fiction ( « En ce temps-là, les hommes étaient libres... »). Or beaucoup d’élèves, dans leur texte écrit, ont éludé la fiction et ont procédé directement par définition ( « Etre libre, c’est... »), ce qui à l’évidence est un résultat des nombreuses séances précédentes axées sur des notions ( « Qu’est-ce que... ? »).

3°) La pratique de la réflexion se nourrit elle-même, en ce sens qu’elle suscite chez les élèves des interrogations proprement philosophiques qu’ils n’auraient sans doute pas formulées auparavant. C’est ainsi que dans plusieurs des classes du groupe les questions suivantes ont été proposées par les élèves eux-mêmes, comme par exemple :
- Pourquoi parle-t-on ?
- Pourquoi se moque-t-on ?
- Qu’est-ce qu’un bon métier ?
- Est-ce bien que l’école soit obligatoire ?
- Est-ce bien de mourir ?
- A quoi ça sert de vivre si à la fin on meurt ?
- Pourquoi le monde existe ?
- Pourquoi n’a-t-on pas une deuxième vie ?
- Qui a inventé les mots ?
- Pourquoi s’habille-t-on ?
- Pourquoi a-t-on un corps ?

4°) Enfin, l’expérimentation fait d’ores et déjà apparaître l’intérêt d’une diversification des formes de la réflexion philosophique : à côté ou en marge du débat oral, qui reste la forme « canonique » ( et d’ailleurs préférée des enfants), d’autres démarches ont été essayées de manière ponctuelle :
- production écrite précédant le débat
- utilisation d’images comme métaphores d’une notion ( « photolangage »)
- utilisation de textes courts, voire d’aphorismes de philosophes
- enregistrement du débat, permettant une réexploitation plus « didactique » à partir d’extraits .

Travail au cours de la seconde année ( 2001-2002)

La seconde année a permis d’approfondir un certain nombre de questions, et corrélativement de mettre au point quelques outils susceptibles d’aider les maîtres à mieux gérer le moment de philosophie dans leur classe.

1°) Une première direction de recherche a porté sur le rôle du maître avant, pendant et après les séances de discussion. Il est apparu assez vite qu’il y avait une certaine contradiction entre son statut traditionnel et habituel, celui de détenteur à la fois d’une autorité institutionnelle et d’un ensemble de savoirs qu’il a pour tâche de transmettre, et le statut qui est le sien dans le débat philosophique. En tant qu’homme parmi ces autres êtres humains que sont les enfants, aussi abandonné, ignorant et « jeté-là » qu’eux, il ne dispose d’aucun privilège, il est leur égal : ce qui ne se produit dans aucune autre situation scolaire. Mais en tant que cette réflexion sur la condition humaine passe par le langage et la culture, il continue à disposer d’une supériorité qui fonde inévitablement un certain pouvoir.

L’analyse de diverses pratiques dans le groupe a fait apparaître des attitudes différentes, voire divergentes : certains limitent volontairement leurs interventions au minimum, se contentent d’introduire le sujet et de procéder, de temps à autre, à des synthèses, des reformulations ou des relances. D’autres en revanche sont beaucoup plus présents, utilisent parfois le tableau pour structurer et travailler la pensée spontanée des élèves.

Une solution, proposée par certains membres du groupe, pour surmonter cette contradiction, serait de distinguer deux types de séquences bien nettement :
- d’une part, le débat philosophique, dont l’orientation serait clairement non directive ou peu directive : sa finalité serait de permettre l’émergence des représentations, des idées, leur confrontation spontanée.
- d’autre part, la leçon de philosophie, dont le caractère didactique et directif serait reconnu et affirmé : sa finalité serait de travailler un concept, une question, pour aboutir à des clarifications, des classifications, des chaînes d’argumentation où le rôle du maître serait prépondérant.

2°) Une seconde direction de recherche s’est orientée vers la possibilité d’enrichir ou d’élargir les débats spontanés entre enfants par l’introduction de textes, qu’il s’agisse de philosophes reconnus comme tels ou d’écrivains, de poètes, etc. Seules quelques séances, dans le groupe, ont eu recours à de tels documents. Mais l’intérêt de cet élargissement a été reconnu par tous, et cette reconnaissance a débouché sur le projet de constituer une « banque de textes » courts, faciles, classes par thèmes, et susceptibles d’être exploités en classe. Ces textes seraient accompagnés de brefs commentaires afin d’en faciliter l’exploitation, et ils devraient déboucher sur la réalisation d’un « recueil de fiches » thématiques dont la réalisation a déjà commencé ( cf plus loin et documents annexes).

3°) Une troisième direction importante est celle qui s’interroge sur la place des productions écrites dans la réflexion philosophique des enfants. La plupart des débats menés par les participants du groupe se sont déroulés de façon purement orale ; tout au plus ont-ils débouché, dans certains cas, sur la rédaction collective d’un bref résumé que les enfants recopiaient dans un « carnet de philosophie » personnel qu’ils avaient la liberté de compléter soit par des illustrations, soit par des commentaires.

Une seule expérience spécifiquement centrée sur l’écrit a été menée durant les deux ans. Elle a consisté à demander aux enfants d’écrire chacun un texte commençant par : « En ce temps-là, les hommes étaient libres... ». Ainsi qu’il a été dit plus haut, l’idée était qu’ils puissent exprimer, sous une forme fictionnelle, leur propre conception de la liberté. Le succès a dépassé toutes les espérances : dans la plupart des cas, les enfants ont très vite abandonné la forme de la fiction pour écrire directement des énoncés du type : « Etre libre, c’est... » : ce qui prouve que les débats antérieurs, très souvent organisés autour d’une question : « Qu’est-ce que ? » ( un ami, une grande personne, le racisme, la violence, etc...), avaient laissé suffisamment de traces pour leur permettre d’écrire directement dans un registre relevant de l’abstraction et de la généralité. On trouvera en annexe quelques-uns de ces textes, ainsi que l’essai d’analyse typologique qui en a été fait.

Malgré ce succès, la tentative n’a pas été renouvelée : la crainte de « didactiser » ou « scolariser » à l’excès une activité qui doit d’abord permettre la libre expression et la libre confrontation des idées, cette crainte demeure forte chez plusieurs membres du groupe, et elle les conduit à refuser tout ce qui pourrait ressembler à l’organisation d’un apprentissage structuré. Le débat reste donc ouvert, mais le récent colloque de Rennes a permis d’envisager des formes de recours à l’écriture qui respecte davantage la liberté des élèves que le traditionnel résumé individuel ou collectif. C’est ainsi que dans certaines classes, un « texte libre » philosophique est proposé aux enfants, dans les mêmes conditions et avec les mêmes règles que le texte libre à caractère littéraire. Dans d’autres classes, le maître demande systématiquement aux élèves d’écrire sur la question proposée avant le débat, et une fois celui-ci terminé, il leur est demandé un nouveau texte : la comparaison des deux permet de mesurer l’impact de la discussion sur la pensée de chaque enfant. Ailleurs encore, on organise un échange de textes qui permet à chaque élève de réagir sur le texte d’un de ses camarades. Bien entendu, tous ces écrits ne sont ni notés, ni évalués au sens sommatif du terme.

4°) La question de la prise de parole est apparue comme essentielle. Les observations menées à l’occasion des séances montrent que certains élèves parlent davantage que d’autres, et que certains demeurent totalement silencieux. C’est là un phénomène courant, mais qui pose problème si l’on considère que le « droit de philosopher » est un droit de chaque être humain et non pas seulement des plus habiles à manier le langage. Il faut donc réfléchir à des formes de prise de parole qui permettent une concrétisation effective de l’universalité de ce droit : tours de tables périodiques, présidence à tour de rôle, désignation d’observateurs et/ou de rapporteurs chargés de résumer périodiquement les acquis de la discussion, etc. D’ores et déjà, des grilles d’observation et d’analyse ont été élaborées, afin de mieux cerner la fréquence des prises de parole pour chaque élève, leur nature ( réponse à la question, nouvelle question, réponse à un camarade, etc.). Ces grilles ( cf documents annexes) peuvent être utilisées par les enfants eux-mêmes, et l’expérience qui a été menée en ce sens dans quelques classes montre que cette utilisation permet un travail de réflexion intéressant au sein du groupe-classe .

5°) Enfin, la question des « acquis » de la réflexion philosophique est une question qui a été souvent abordée dans le groupe, mais n’a pas été résolue. Dans quelle mesure peut-on évaluer les effets de cette pratique chez les élèves sans la trahir en la réduisant à une discipline susceptible d’un « bilan de compétences » comme n’importe quelle autre ? Pas plus qu’on ne saurait songer à évaluer le degré de « citoyenneté » d’un élève ( ou d’un adulte) par rapport à un autre, mais seulement relever et sanctionner les manquements caractérisés aux lois et aux droits constitutifs de la citoyenneté, de même on ne saurait songer à évaluer - et encore moins à noter ! - le degré de « philosophie » manifesté par un élève, mais seulement relever les glissements vers des discours non-philosophiques ( stéréotypes, récits anecdotiques, croyances dogmatiquement affirmées, etc.).

Néanmoins, il est clair que l’absence de toute évaluation, même formative, risque de faire déraper la pratique du débat philosophique vers une irresponsabilité, voire une verbosité, qui n’est pas moins contraire aux exigences de la philosophie même. Etre philosophe, c’est en effet être à tout instant prêt à se justifier devant toute interpellation - philosophique ou non - et se reconnaître le devoir de répondre de ses affirmations comme de ses actes.. Réalisations du groupe

Durant ses deux années d’existence, le groupe a pu aboutir à un certain nombre de résultats et de réalisations concrètes dans les domaines suivants :

A) Publications :

1°) Deux articles ont été rédigés et publiés dans l’ouvrage collectif La discussion philosophique à l’école primaire ( coord. Par Michel Tozzi, CRDP du Languedoc-Roussillon, 2002). Cf documents annexes.

2°) Un autre article a été rédigé et doit être publié dans l’ouvrage collectif Education à la citoyenneté : pratiques et problèmes ( à paraître au CNDP, coll. « Documents, actes et rapports pour l’éducation »).Cf documents annexes.

B) Actions de formation

1°) Un atelier optionnel de formation pour les stagiaires PE2 consacré à la philosophie à l’école élémentaire a été proposé et accepté par la direction de l’IUFM, dans le cadre de la formation générale et commune, à la rentrée scolaire 2001. Cet atelier de 12 Heures ( 2 journées) a été pris en charge et animé par le groupe en tant que tel. Intitulé « Pratique de la philosophie à l’école », il a regroupé 17 stagiaires.

2°) Un stage de formation continue des professeurs d’école a eu lieu du 11 au 22 mars 2002 sur le thème « Ecole républicaine et violence ». Dans le cadre de ce stage, deux demi-journées ont été consacrées à la philosophie à l’école élémentaire. Ces demi-journées de sensibilisation ont permis à certains enseignants intéressés de rejoindre le groupe en cours d’année et de participer à la la réflexion collective.

3°) A la suite de l’atelier IUFM, trois stagiaires PE2 ont manifesté le désir de faire leur mémoire professionnel sur la pratique du débat philosophique en classe primaire. Elles ont été prises en charge par plusieurs membres du groupe, qui leur ont permis de venir dans leurs classes, et elles ont participé à plusieurs des réunions du groupe.


[1] Cf L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire, coord. Michel Tozzi, CNDP/Hachette éducation, 2001.

[2] Cf Britt-Mari Bartn, L’apprentissage de l’abstraction, Retz, 1987.

[3] Pour un droit de philosopher dans l’Education , Manifeste publié à l’issue du Colloque Philosophie du 25-26 avril 2001 à l’INRP , Fondation 93, Montreuil.


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