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The philosophy for children approach to philosophy before the end of secondary school par Matthew Lipman

professeur de philosophie dans le New Jersey, a été le premier à proposer de philosopher à de jeunes enfants dès le début des années 70.
Publié le jeudi 5 juillet 2007.


Program Description

Philosophy for Children is a version of philosophy suitable for children in primary school and for students in the earlier grades of secondary school. Development of the program began in 1969, and today consists of 9 sub-programs, each for one or two grade levels. A sub-program is composed of a fictional reader for the students and an instructional manual for the teacher. In addition to the manual, there are a number of theoretical books that have been published by university presses, such as Philosophy in the Classroom (Temple), Growing up with Philosophy (Temple/Kendall Hunt) and Thinking in Education, 2nd Ed. (Cambridge). The Institute for the Advancement of Philosophy for Children (IAPC) is the publisher of the curriculum, and affiliates of the IAPC in other countries have translated parts or all of the program into other languages. Some seventy of these affiliate centers are operating in different parts of the world, including Quebec, Mexico, Argentina, Russia, Italy, Lithuania, Finland, Spain, Nigeria and Switzerland.

Experimental results have repeatedly shown the Philosophy for Children program to have a significant impact on the reading, mathematics and reasoning behavior of elementary school students.

The pedagogy of the program is comparable to that of critical thinking approaches at the high school and college level. Students read the texts, formulate questions about their interpretations, and discuss these questions. In so doing, they constitute a community of inquiry, in which they reason together (rather than engage in competitive argumentation), learn how to think for themselves, to think imaginatively, and to think appreciatively. The instructional manuals given the teachers contain many exercises and discussion plans based on traditional philosophy, and providing practice in reasoning and judgment. Each of the sub-programs deals with such aspects of philosophy as epistemology, ethics, metaphysics and aesthetics, but individual programs concentrate more on some of these than others do. Preface from Harry Stottlemeier’s Discovery, Vrin 1978.

An account of the beginnings of Philosophy for Children in the 1970’s, with some reference to the influence upon the program of French philosophy.

INVENTION D’UNE DECOUVERTE, traduction de Pierre Bélaval, publié avec l’aimable autorisation des éditions Vrin

En 1969, alors que depuis quelques années, j’enseignais les bases de la logique à des étudiants, je me mis à douter sérieusement de sa valeur. J’étais à nouveau assailli des mêmes doutes à propos de la logique que ceux qui avaient surgi alors que j’étais moi-même étudiant, à une époque où je ne trouvais pas cette matière à mon goût. Mais, lorsque quelqu’un dispense le même cours depuis de longues années, il en vient à penser que ce cours est utile, qu ’il a un sens, quels que soient les doutes qu ’il ait éprouvés auparavant. Pourtant, je me demandais avec étonnement quel bénéfice mes étudiants pouvaient bien tirer de l’étude des règles déterminant la validité des syllogismes, ou de l’apprentissage de la construction de propositions inverses. Raisonnaient-ils vraiment mieux, à la suite de leurs études de logique ? Leurs habitudes linguistiques et psychologiques n’étaient-elles point déjà si solidement établies que toute espèce de méthode ou d’enseignement concernant le raisonnement arrivait trop tard ?

A cette époque, j’étais professeur de philosophie à l’Université Columbia. Sans aucun doute, les manifestations estudiantines de 1968 avaient contribué à renforcer le malaise que je ressentais concernant mon enseignement. En observant les efforts maladroits entrepris par l’Université pour se remettre en question, j’en arrivais immanquablement à la conclusion que les problèmes de l’Université ne pouvaient se résoudre dans le cadre même de cette institution. Tant enseignants qu ’étudiants, nous étions tous sortis du même moule éducatif primaire puis secondaire. Si nous avions reçu une mauvaise formation à ces échelons initiaux, alors, très vraisemblablement, nous en étions arrivés à partager beaucoup d’idées fausses . cela nous donnait donc toutes les chances de massacrer, avec un bel ensemble, notre éducation ultérieure.

C’est à cette époque également que, par chance, je suivis de près les efforts déployés par un éducateur pour retardés mentaux, afin d’aider ses enfants dans leur apprentissage de la lecture. Les plus jeunes paraissaient capables de lire les mots, mais ils ne pouvaient en extraire le sens. Je lui suggérais de leur donner des exercices d ’inférences logiques, et l’éducateur me dit que cette pratique s ’avérait efficace. Cela confirma mon pressentiment : les enfants pouvaient tirer profit d’un enseignement de l’art de raisonner à condition qu ’il leur soit dispensé assez tôt dans leur développement. Etait-il possible d ’aider les enfants à penser avec une meilleure maîtrise ? Que les enfants pensent aussi naturellement qu ’ils parlent ou qu’ils respirent, je n ’en doutais pas. Mais comment les aider à bien penser ?

On me donna l’idée d’écrire une histoire d’enfants. Mais quelle sorte d’histoire d’enfants ? Sûrement pas une du genre où des adultes super instruits expliquent avec bienveillance à leur petit peuple d ’ignorants les différences entre une pensée correcte et une pensée erronée. Rien d’aussi condescendant. Ce serait quelque chose que les enfants découvriraient par eux-mêmes, avec seulement une aide limitée de la part des adultes. Dans cette histoire, les enfants constitueraient, en quelque sorte, une petite communauté de recherches, dans laquelle chacun prendrait part, au moins jusqu ’à un certain point : recherche et découverte communes des façons les plus efficaces de penser. Je pensais que la petite bande des enfants de mon histoire serviraient de modèles auxquels pourraient s ’identifier les véritables enfants d’une classe. Un tel tableau, d’enfants vivant ensemble d’une façon intelligente et dans un respect mutuel, pourrait donner à de vrais enfants l’espoir de voir se réaliser un tel idéal (les dialogues de Platon ont eu ce rôle pour les adultes).

Je me vois encore réfléchir sur le choix des noms que je donnerais aux personnages de l’histoire (je ne pensais pas encore en faire un livre). L ’idée d’un jeu de mot sur le nom du fondateur de la logique me démangeait. Pourquoi pas quelque chose comme « Ari Startle » (se prononce en anglais Aristotle, et le verbe startle a le sens d’éveiller, d’où Ari l’Eveilleur). Trop maladroit et trop forcé. Je me décidais pour Harry Stottlemeier. Les autres enfants de l’histoire reçurent des noms représentant par leurs consonances les différents types ethniques, une manœuvre que j’avais consciemment tirée de Moby Dick. (Dans mes récents romans, j’ai eu tendance à passer sous silence les noms de famille).

Les personnages n ’étaient pas empruntés à la vie réelle, l’intrigue non plus, pour autant qu’il y en ait une. Mes propres enfants avaient, à cette époque, respectivement huit et neuf ans, et il ne m’était pas venu à l’esprit de m ’en servir pour modèles. Ce qu ’ils m’avaient donné, originellement, c ’était le sens de la réalité du dialogue d’un adulte avec des enfants.

Ce qui distinguait les enfants les uns des autres, me semblait-il, n’était pas tant leur caractère que leurs différents styles de pensée. L’un pouvait être expérimentaliste, un autre intuitif un troisième analytique, un quatrième sceptique, et ainsi de suite sans qu ’aucun style fut présenté intrinsèquement comme meilleur ou pire qu ’un autre. Harry lui-même, était patient, avec l’esprit d’explorateur, passant alternativement d’états d’émerveillement à des états de doute de soi. Je présumais que ses maladresses et ses fréquents embarras pourraient le faire universellement aimer des enfants, beaucoup plus sûrement que ne le feraient les vertus d’un protagoniste infaillible. Quant à l’intrigue de l’histoire, je la concevais comme une enquête, modèle réduit. Les enfants découvrent une règle de logique : la conversion. Ils la testent sur un certain nombre de phrases diverses, et elle marche. Mais quelqu’un trouve un contre exemple. Tout d’abord, c’est la consternation et le désespoir. Par la suite, on comprend, cependant, que l’on peut étendre le principe de telle sorte qu ’il s ’accommode du contre exemple. Une fois de plus, on fait le test, et la règle, dans sa forme révisée, se montre valide. Mais cela va-il marcher dans la vie réelle ? L ’épisode final donne aux enfants l’occasion d’appliquer leur découverte à une situation extra-scolaire - cela marche !

Telles furent les circonstances touchant directement à la rédaction du premier chapitre de la découverte de Harry Stottlemeier. Mais, à ce stade-là, je me dis que ce qui était nécessaire, ce n ’était pas une seule scène, mais plutôt un véritable petit roman. Pour être suffisamment persuasif, le thème de la découverte devait être considérablement élargi et renforcé. Et les principes du raisonnement, découverts par les enfants eux-mêmes, devaient apparaître comme applicables à des aspects plus essentiels et plus problématiques de leur vie.

A dire carrément, il m’apparut que les enfants ne pourraient être amenés à la logique qu’appâtés par la philosophie. Les enfants et la philosophie sont des alliés naturels, parce qu’ils commencent comme elle par l’étonnement. En effet, seuls les philosophes et les artistes s’engagent systématiquement, et à titre professionnel, dans cette voie de l’éternel étonnement, si caractéristique de l’expérience quotidienne de l’enfant. Pourquoi ne pas emprunter les idées de la tradition philosophique et les insérer dans le roman, de sorte que les enfants de l’histoire puissent aller au delà de l’étonnement et aborder d’une façon réfléchie et sensée les aspects métaphysique, épistémologique, esthétique et éthique de leur expérience ? Finalement, le livre fut écrit, en dépit de mon absence totale de familiarité avec les techniques d’écriture propres aux romans, ainsi qu ’avec les principes d’éducation. Tout ce que je connaissais de l’éducation, je suppose, venait de ce que j’avais transporté dans mon bagage de soldat, pendant la seconde guerre mondiale, un exemplaire de l’intelligence dans le monde moderne, de Dewey, qui contenait un nombre de points clefs de sa théorie de l’éducation. Par quel hasard étais-je tombé sur ce livre ? Toujours est-il que, sans rien connaître à la philosophie, j’ai saisi, à travers les difficultés de la prose de Dewey, quelques-unes de ses idées principales. Je me vois encore parcourant ce livre aux rares moments de repos que peut avoir un soldat d’infanterie, pendant toute cette période où nous faisions notre chemin à travers la Sarre, passant le Rhin à Mayence, traversant l’Allemagne jus qu ’à Bayreuth puis ensuite entrant en Autriche. J’imagine d ’ailleurs que des idées acquises en de telles circonstances sont particulièrement aptes à jouer un rôle fondamental dans la pensée future de tout homme.

Néanmoins, je ne peux oublier de mentionner un autre facteur décisif Plusieurs années après la guerre, j ’eus la chance de revenir en France pour une période d’étude. J’ai été impressionné de voir combien certains écrivains français qui me passionnaient, comme Diderot, par exemple, arrivaient à discuter d’idées profondément philosophiques de façon claire et aisée. Avec ce résultat, peut-être, que ces idées n ’étaient pas excessivement monopolisées par une élite minoritaire : même les poètes ne les considéraient pas comme des étrangères. En France, également, il me semblait bien rencontrer une plus grande camaraderie intellectuelle entre les parents et les enfants. Ils me semblaient moins embarrassés de partager une littérature commune, par exemple quand on voyait un grand-père discuter du Phèdre avec son petit fils et sa petite-fille. Nous mêmes, pensais-je, manquons de ces variétés de dialogues réfléchis auxquels les enfants pourraient s ’identifier et dont ils apprendraient quelque chose. Nos pièces, quand elles ont pour sujet des enfants en relation les uns avec les autres, ou en relation avec des adultes, n ’insistent que sur des faits sociaux ou affectifs.

Mais il existait un exemple antérieur, moins imparfait, de société à l’aise avec les idées philosophiques ; c ’était celle de la Grèce des pré-socratiques. Quand on pense à Anaxagore, Empédocle, Parménide et Héraclite, on pense à des philosophes s’exprimant avec autant d’aisance par aphorismes ou par périphrases poétiques qu ’en langage courant. Et ensuite, il y a le mariage de la philosophie et du drame chez Pla ton, comme c ’était déjà préfiguré chez Sophocle et Euripide ! Il était clair que la logique d’Aristo te, dans la mesure où on doit la présenter dans un livre pour enfants (sa logique étant bien la plus apparentée au langage) devait être accompagnée par des idées philosophiques semblables à celles des pré-socratiques, avec un support littéraire approprié.

Le problème suivant résida dans l’organisation du livre : dans quel ordre introduire les thèmes logiques. Là, l’organisation des cours de logique à l ’Université ne me servit que fort peu. Durant des milliers d’années, les implications logiques nous sont parvenues intégrées dans des textes de logique, avec bien peu de considération accordée à leur importance relative soit à l’égard de la logique soit à l’égard de la pédagogie. Ce que j’essayais de faire, donc, ce fut d’arracher les éléments qui n’étaient pas essentiels, et de prendre la conversion comme pierre angulaire sur laquelle est construite toute la logique formelle et dont les élaborations permettent la compréhension de la logique.

Au même moment, je pensais nécessaire d’introduire quelques éléments de logique des relations et de logique des propositions. Également, essayais-je de fournir de nombreux exemples d’emploi de logique non formelle (de « bonnes raisons »). Car rien n ’apprend mieux à raisonner aux enfants que l’examen complet et minutieux des multiples usages du langage ainsi que les discussions qui découlent de leurs propres observations et inférences.

Bien que les idées philosophiques de la découverte de Harry Stottlemeier soient extraites librement du répertoire philosophique, et que même le poème en cinq mots de Suki soit un plagiat de Fontenelle , j’ai essayé d’éviter les références aux écoles et aux grands maîtres de la tradition philosophique ; quelle valeur cela aurait-il pour des enfants de se demander si Aristote ou Kant doivent être classés parmi les rationalistes ou parmi les empiristes ? J’ai évité également l’utilisation d ’une terminologie technique. J’ai toujours peur qu ’une telle terminologie se prête immédiatement à devenir une arme avec laquelle on intimide et on écrase ceux qui ne sont pas assez initiés pour savoir comment l’employer pour leur propre compte. Or je voulais que mon livre soit utilisé, pas seulement pour aider les enfants à penser, mais aussi pour les aider à penser pour eux-mêmes.

Après avoir écrit ce livre, je me mis à rechercher une situation expérimentale adéquate. Une telle possibilité se présente en 1970. Adhérent à la thèse de Piaget selon laquelle le stade ou le raisonnement devient formel se situe aux alentours de la onzième année, j’ai pris la décision de tenter une expérience avec des enfants de septième. Une expérience à « champ réel » fut mise au point, avec des groupes-échantillons, tirés au sort parmi une population hétérogène. Chaque groupe recevait un enseignement spécifique deux fois par semaine, pendant neuf semaines, et chaque groupe était soumis à des tests avant et après l’enseignement. A la fin de la période expérimentale, les résultats des groupes témoins quant aux raisonnements logiques étaient restés inchangés ; ceux du groupe expérimental avait fait un saut d’à peu près vingt sept mois ! J’étais encouragé.

Ce ne fut pas avant 1975 que j’eus la possibilité de monter une autre expérience. Cette fois-ci, deux cent élèves furent formés pendant quatre mois par leurs propres maîtres d’école. Cette fois-là, les gains en raisonnement furent moins impressionnants, mais le gain en lecture (du groupe expérimental par rapport au groupe témoin) fut important, et dans certains cas spectaculaire. Au début, je pensais que la découverte de Harry Stottlemeier était un livre que les enfants pourraient découvrir et acheter eux-mêmes en flânant dans une librairie. Ou bien un livre apporté par un parent à la maison, que l’on lirait et commenterait en famille, car il n’était ni trop difficile pour un enfant ni trop puéril pour un adulte. Mais progressivement, j’en vins à conclure que la philosophie pour les enfants était aussi bien nécessaire à l’école qu’à la maison. Les expériences ayant démontré une amélioration scolaire évidente, j’eus la conviction que les administrateurs d’écoles seraient même susceptibles de l’accepter comme un programme spécialisé de raisonnement, alors que les enfants de 1’école 1’accueilleraient avec enthousiasme. Mais pouvions-nous trouver des professeurs capables de l’enseigner ?

Je pense que oui. La formation de professeurs se met lentement en route, mais le cadre nécessaire se clarifie et un progrès est accompli. Nous avons appris à composer un matériel d’enseignement pour le professeur qui assimile les idées directrices de chaque chapitre, et qui ensuite rend ces concepts opérationnels en y adaptant des exercices appropriés, des activités et des plans de discussions à l’usage de la classe. A la fin il y aura des programmes philosophiques pour chaque classe, du jardin d’enfant jus qu ’à la fin des études secondaires.

Si la philosophie commence par l’étonnement, on peut dire également qu’elle apparaît comme un dialogue réflexif dont les vues pénètrent et enrichissent l’expérience de la vie. Mais il faut ménager des transitions, et peu t-être y aura-t-il un jour une littérature qui aidera les enfants à franchir l’abîme entre l’étonnement et la réflexion, entre la réflexion et le dialogue, entre le dialogue et l’expérience. L ’impact d’une telle littérature sur les enfants d’aujourd’hui pourrait ne pas être immédiatement apprécié. Mais l’impact sur les adultes de demain pourrait être tellement considérable qu ’il nous amènerait à nous étonner d’avoir refusé la philosophie aux enfants jusqu ’à ce jour.


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