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Pourquoi ai-je lancé les ateliers philo dans ma classe du cycle 3 ? par Rémi Castérès

Instituteur.
Publié le jeudi 5 juillet 2007.


J’ai été contacté par courrier, fin 1997 pour participer à une réunion de présentation des ateliers philo - ma classe avait la réputation de permettre aux élèves de s’exprimer. À la lecture du document, je fus frappé par deux choses :

• les questions posées. “Qu’est-ce qu’une grande personne ?” “Pourquoi a-t-on envie de se moquer ?” “Quelle est la place d’un enfant dans une famille ?” J’eus tout de suite envie de poser ces questions à mes élèves. Je me dis qu’ils auraient de la chance de pouvoir réfléchir à cela ensemble, avec le sérieux du cadre scolaire ;

• le silence demandé à l’enseignant. Le silence de l’enseignant, c’est si rare...Toute ma scolarité, j’ai entendu maîtres et professeurs parler continuellement ; dans les classes où je me rends comme maître-formateur, j’entends l’adulte qui parle, qui répète, qui commente à saturation. Enfin, un dispositif requérait explicitement le silence de l’enseignant et laissait toute sa place à la parole des enfants !

Ce silence est ce qui rend beaucoup d’enseignants très réticents à l’égard des ateliers philo. D’abord, je crois, parce que cela ne correspond pas à la place qu’ils s’attribuent ordinairement dans la classe. Ensuite, parce qu’ils s’imaginent que les enfants ne peuvent communiquer que par leur intermédiaire - ils répètent et reformulent tout ce que disent les enfants qui, de ce fait, n’ont aucun effort à fournir pour s’exprimer correctement. Encore, parce qu’ils craignent que le débat dérape sur des conflits personnels ou idéologiques, particulièrement dans les quartiers où l’islam est influent. Enfin, parce qu’ils ont peur que des “énormités” soit dites, que des informations fausses soient véhiculées. Dans tous les cas, je crois qu’il s’agit de la peur de perdre le contrôle de la situation.

Pour ma part, je suis très satisfait quand ma classe tourne toute seule, quand je n’ai pas à intervenir. Je suis le garant du cadre dans lequel les élèves travaillent. Les nouveaux programmes insistent sur l’importance des débats dans l’acquisition des savoirs ; cela ne peut se faire qu’en acceptant de se mettre en retrait autant que nécessaire.

Je ne répète jamais ce que disent les enfants. Le résultat est qu’ils communiquent très bien entre eux.

Pendant les ateliers philo, je donne la parole aux enfants en suivant une ligne imaginaire qui fait le tour de la classe. Cela permet à chacun de s’exprimer s’il le souhaite, de se taire, et cela évite les polémiques parce que cela empêche deux enfants de se répondre du tac au tac. Et quand il y a des conflits entre enfants - c’est une situation normale - il y a une autre instance pour les régler, c’est le Conseil de coopérative ; d’ailleurs les nouveaux programmes prévoient une demi-heure de débat réglé par semaine pour gérer la vie collective.

Enfin, si des propos tenus sont erronés... je me garde d’intervenir ! Je crois que les ateliers philo ne sont pas le temps pendant lequel on doive apporter des informations sur la laïcité, sur le racisme, sur les religions. Il y a les leçons d’histoire, de sciences pour cela. Pourquoi se précipiter ? Une leçon bien préparée, bien documentée, aura un autre impact que des propos péremptoires.

La semaine qui suit l’atelier philo, les élèves se réunissent dans la pièce où se trouve le matériel vidéo. Ils ne sont pas obligés d’assister à la séance ; parfois, certains s’abstiennent sans que je leur demande leurs raisons.

Les élèves regardent l’enregistrement. Pendant ce temps, j’écris sur une grande feuille les idées essentielles. Si une idée est répétée, je la souligne, puis je l’encadre progressivement, si nécessaire, pour manifester que tout propos est pris en compte. J’essaie d’organiser la feuille pour que les idées similaires soient rapprochées (dans l’exemple ci-dessous, énumération des situations, explications allant dans un sens ou dans l’autre). Je m’autorise à changer des mots pour condenser des idées, par exemple en utilisant les mots “physiques” et “intellectuels”.

Voici un exemple de relevé :

Pourquoi prend-on des risques ?
- en jouant au loup : pour délivrer celui qui est touché
- pour savoir lire
- pour sauter loin
- pour parler en public
- pour apprendre gym, vélo, roller
- pour progresser dans les jeux de société
- pour faire
- pour marcher
- pour avancer dans la vie
- pour réussir
- pour grandir
- pour imposer son autorité
- C’est progresser.
- On est attiré par les risques ; ça dépend des caractères.
- On prend des risques sans s’en rendre compte.
- On prend toujours des risques.
- Risques physiques, intellectuels
- Quand on fait, on n’a plus peur.

- On ne prend pas de risques :
- pour ne pas se tromper
- pour qu’on ne nous demande pas d’en faire plus.
- en ouvrant un paquet de mouchoirs
- parce qu’on a peur
- pour ne pas se faire crier dessus

Je change de couleur pour tracer un trait rompu entre “On prend toujours des risques” et “On ne prend pas de risques” et je demande aux élèves de relire l’affiche. S’ils ne comprennent pas certains des termes que j’ai utilisés, je leur explique - sans commentaires sur le fond.

Quand tous ont fini de lire, une deuxième discussion moins ritualisée que celle de la semaine précédente s’engage. Je distribue alors la parole dans l’ordre des mains levées.

En général, la discussion commence par des demandes d’explications sur des propos revus. Certains reviennent sur les désaccords qu’ils avaient exprimés et persistent, d’autres annoncent qu’ils ont changé d’avis ou nuancent leurs idées.

Il faut un temps pour que d’autres voies commencent à être explorées. Je donne un exemple. À la question “Qu’est-ce qu’un bon élève ?”, chaque enfant avait énuméré ses caractéristiques du bon élève. À la fin de la seconde séance, ils se sont interrogés pour savoir si chacune de ces caractéristiques permettait vraiment de distinguer un bon élève, ou si elle ne pourrait pas aussi s’appliquer à un élève quelconque, voire à un mauvais élève. Arriver à ce niveau de réflexion pour des enfants de l’école primaire me satisfait et je n’éprouve pas de désir d’aller plus loin dans ce domaine. Si d’autres expériences montrent que c’est possible, je saurai en faire profiter mes élèves...

Un dernier point : il est possible qu’il n’y ait pas de second débat après avoir revu l’enregistrement. Cela a été le cas pour la question “Pourquoi prend-on des risques ?” Je ne m’en offusque pas. Les élèves ont le droit de ne pas philosopher...


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