Accueil du site - 03- En France - 05- Le droit de philosopher

Thierry Bour : Enseigner est une aventure humaine

Professeur spécialisé des Ecoles - Conseiller pédagogique de l’A.I.S. [1]
Publié le jeudi 5 juillet 2007.


Jeudi 5 septembre 1996. 9h01. Ils étaient dix. Dix enfants de treize ans. Dix apatrides scolaires, dix rebuts pédagogiques, dix forcenés d’école. Dix êtres humains. Dix élèves dont l’enseignement ordinaire n’avait plus voulu. Ou bien était-ce eux qui ne voulaient plus de l’école ordinaire ? L’Institution avait pensé qu’en réunissant les élèves les plus difficiles dans un même lieu, loin du monde, à la campagne, on pouvait mieux les aider. J’ai mon idée là-dessus. Et puis il y avait la mission que j’avais choisie et en laquelle je crois toujours.

En plus de mon cursus universitaire, je travaillais deux ans auparavant en collège, alternant selon les heures les fonctions de surveillant d’externat, de professeur de lettres ou de conseiller principal d’éducation. Un collège de la banlieue parisienne que l’on disait pilote. Il accueillait des élèves polyhandicapés dans une S.E.G.P.A.[2] Moi, je me voyais travaillant pour une agence de communication, un secteur nouveau à l’époque. Plein d’avenir.

J’avais également travaillé dans un de ces collèges perdu au milieu des cités de la banlieue parisienne, là où les impacts de balles des week-ends désœuvrés dans les vitres des classes n’étonnaient plus personne. Un de ces camps retranchés de l’Education nationale où les jeunes professeurs débutants étaient nommés, « envoyés » comme on disait des soldats pour le front. Où les plus anciens -ceux qui étaient restés, portaient au visage les stigmates de leur philanthropie. Je me souviens d’avoir obtenu d’un élève qu’il me laissât son poignard le matin en arrivant au collège et qu’il le reprît en partant. Tout un symbole. J’ai toujours eu mauvaise conscience de le lui avoir rendu le soir. Pouvais-je faire autrement ? J’étais le dernier lien qu’il entretenait avec une certaine normalité sociale, prétendait-on. Un lien qui ne tenait qu’à un fil de lame. Il avait seize ans. Il était en sixième non-francophone lorsqu’il était présent. L’année suivante, il a été expulsé de France. A dix-sept ans. On l’a mis dans un avion long comme son casier judiciaire. Un vrai délinquant. Pas un criminel. Je pense à lui parfois. Je pense aussi à notre démission. A notre impuissance.

Un jour, le ministre de l’Education nationale est venu dans l’autre collège de la commune où j’avais été nommé l’année suivante. Je me souviens des motards de l’équipage ministériel, incrédules devant des collégiens qui leur crachaient dessus. Ils s’étonnaient encore. Ils avaient raison. Nous aurions dû encore nous étonner. Ne pas accepter. Leur apprendre. Eduquer.

Dans mon collège pilote, j’ai donc choisi. J’abandonnais la réclame pour me consacrer à ces élèves bizarres, incompréhensibles, effrayants parfois. N’importe quel psychologue de bazar affirmerait que ce choix m’a été dicté parce que j’avais quelque chose à régler avec moi-même, à réparer peut-être. Peu m’importe. Deux années d’I.U.F.M.[3] à apprendre à enseigner en classe ordinaire, une lettre de motivation pour accompagner mes vœux d’affectation et je rejoignais l’enseignement extraordinaire.

Nous étions donc là, dix élèves dans une petite salle et moi, enseignant depuis une minute. Classe 5 du secteur I.M.P. d’un I.M.E.[4] Vingt-quatre heures par semaine. Trente-six semaines par an. Un beau voyage. La première année, je perdais souvent du temps à régler les conflits et à faire de la discipline. Comme un enseignant débutant. En classe, on travaillait toutes les matières de l’école élémentaire. Par principe et par respect pour eux.

Et il y eut ces questions inopportunes, agaçantes. Des questions qui surgissaient tandis que nous explorions la technique opératoire de l’addition ou que je prétendais leur transmettre je ne sais quel aspect de la connaissance : « Monsieur, pourquoi on a des crottes de nez, hi, hi, hi ? », « Pourquoi la lune ne tombe pas sur la Terre ? » « Pourquoi n’y a-t-il pas classe le 11 novembre ? » « Comment ça marche une bombe atomique ? » etc.

Elles vous anéantissaient une séance préparée jusqu’à tard dans la soirée. Elles vous perturbaient la classe jusqu’à tard dans l’après-midi. Alors je disais que ce n’était pas le moment, qu’on y répondrait plus tard. Donc jamais. Personne n’était dupe, pas même moi.

Dans ces classes-là, lorsqu’on débute, on gère l’urgence lors des premiers mois. Au pire, on essaie de survivre. Alors on diffère ce qui peut l’être, ce qui dérange, déstabilise. On n’entend pas. On se raccroche à ce qu’on a prévu. Désespérément. Souvent en dépit de toute logique pédagogique.

Mais leurs questions étaient intéressantes. Ils avaient envie de savoir, de comprendre. Ils en avaient le droit. J’en avais le devoir. Je percevais la somme de leurs ignorances comme un abîme, un vertige pour une vie sociale ordinaire. Alors j’avais disposé dans notre salle une boîte destinée à recueillir leurs interrogations. Notre « boîte à questions ». Une bouteille à la mer de la connaissance. Je la conserve toujours précieusement, comme un souvenir, une relique pédagogique personnelle.

Quand une question leur venait à l’esprit par un chemin de traverse, ils devaient la noter sur un morceau de papier et la déposer dans la boîte à la fin de la demi-journée. Chaque mardi soir, j’en relevais le contenu. Pendant la semaine qui suivait, je cherchais et réunissais des documents (articles de presse, ouvrages spécialisés, encyclopédies, films documentaires, matériel expérimental lorsqu’il s’agissait de comprendre un phénomène etc.) qui permettaient, le mardi suivant, d’élaborer collectivement une réponse aux problèmes soulevés. Je commençais par lire une à une les questions à haute voix, puis ils émettaient des hypothèses. On cherchait ensemble, on validait. C’était notre « atelier de culture générale ». Il durait une heure et quart environ.

Il y avait des questions de toutes sortes, de tous domaines. La majorité concernait les sciences, l’histoire et la vie quotidienne. Lorsque je ne trouvais pas le document adéquat, je faisais le professeur. Je leur donnais moi-même la réponse. Ce n’était pas satisfaisant, mais c’était mieux que le néant.

Le questionnement était libre. Alors un jour, l’un d’entre eux mit une question dont j’ai oublié la formulation exacte. Je l’attendais. Une préoccupation naissante de l’adolescence. Elle concernait les problèmes de reproduction de l’espèce humaine en des termes particulièrement choisis. D’une vulgarité sans égale. Je l’ai lue comme les autres. C’était une vraie question. Ils ont beaucoup ri et se sont moqués jusqu’à tard dans l’après-midi. Pas si tard que cela en réalité. Et nous y avons répondu. L’histoire (celle que l’on revisite pour comprendre, une fois que le temps a fait son œuvre) raconte que c’est à cet instant précis que tout a basculé. Pas dans l’abîme. Pas dans le néant. Dans la philosophie. Une question de sexe nous y a conduit. Peu glorieux sans doute.

J’en avais donc accepté le thème et nous l’avions traité, comme d’habitude. Il fallait leur montrer que toute interrogation était acceptable, tout sujet susceptible d’être étudié. Et puis, en renvoyant l’élève à sa propre responsabilité vis-à-vis du groupe, je souhaitais écarter toute trivialité à l’avenir. Un choix qui s’avéra heureux.

Mais je ne perçus pas alors combien les élèves allaient se sentir autorisés à soulever l’infinité des problèmes : toutes les énigmes qu’ils n’avaient jamais osé formuler, celles auxquelles personne n’avait jamais, peut-être, pris le temps de répondre et l’ensemble des mystères qui leur permettrait enfin d’appréhender le monde. Le questionnement avait été libéré.

L’année s’acheva. Je pris la responsabilité de la classe 7 de l’I.M.Pro. à la rentrée suivante. Je suivais ainsi, un peu par hasard, une partie de mes élèves. Nous reprîmes notre atelier dès le mois de septembre avec quelques nouveaux élèves qui furent rapidement entraînés par une dynamique de groupe qui ne se démentirait plus.

La nature du questionnement évolua peu à peu au fil des mois sans que l’on s’en aperçoive. A la fin de l’année, nous arrivâmes, portés par le courant de la pensée, aux questions premières, au sens de la vie, de l’existence, plus que du monde.

Je leur fis part de mes réserves, de mes obligations professionnelles, de mes limites. Je leur indiquai que nous nous entrions dans un territoire inconnu qui pouvait être celui de la philosophie. Le mot était lancé, pour la première fois pour eux, je crois. La sonnerie de juin retentit et je partis un an en formation à Paris pour obtenir ma patente d’enseignant spécialisé, mention handicap mental. La certification m’assurait de devenir titulaire du poste jusqu’à la fin des temps. J’étais parti pour cela, ils le savaient. Mais je laissai les réponses suspendues à un autre, à eux seuls ou à mon éventuel retour.

Je revins et nous reprîmes étrangement les questions là où nous les avions laissées, comme s’ils avaient gardé précieusement leurs interrogations, comme s’ils m’avaient attendu, comme si je ne m’étais pas absenté. Aucune vanité ici, un simple constat.

Le mouvement ne s’était donc pas rompu. De la première année à l’I.M.P., il ne restait pourtant qu’un seul élève. Je rappelai alors l’état d’avancement de leur questionnement et je leur expliquai, maladroitement sans doute, en quoi la philosophie pouvait permettre de réfléchir aux problèmes qu’ils soulevaient. Ils acquiescèrent. Sans plus d’enthousiasme que lorsqu’on accepte quelque chose dont on ignore tout, mais dont on vous assure des bienfaits. Simplement pour voir. Ils ne percevaient pas de danger apparent pour eux. La philosophie appartenait au lycée, je le leur avais dit et ils se sentaient valorisés. Ils me faisaient confiance, aveuglément sans doute. Je n’étais pourtant pas philosophe et je ne possédais aucune légitimité institutionnelle : ni C.A.P.E.S.[5], ni même un soupçon d’études universitaires dans le domaine. Quelques souvenirs plus ou moins heureux de la terminale, c’était tout. On ne s’embarrasse pas toujours de genre de détails dans l’enseignement spécialisé. On cherche à répondre au mieux aux besoins des élèves. Si cela pouvait être à l’origine d’un apprentissage, alors c’était bêtement légitime. J’étais quand même démuni.

J’avais acheté par correspondance un fichier sur la philosophie (soixante fiches pour dix francs de l’époque) dont j’avais croisé le bon de commande dans un magazine, au détour d’une salle d’attente médicale. Un jour, un étudiant m’a dit que j’avais été bien naïf de croire que je pouvais y trouver des choses intéressantes. Il avait probablement raison. On s’accroche à ce que l’on peut lorsqu’on a peu. Il s’agissait surtout de ne pas mentir à mes élèves. De ne pas prétendre pratiquer quelque chose de l’ordre de la philosophie mais qui n’en était pas. Etre honnête et ne pas les trahir.

Je n’avais aucune excuse, même si j’étais isolé et que j’ignorais alors tout des courants qui animaient et qui animent encore certains milieux qui prétendent faire philosopher les élèves avant le lycée. Un combat gagné d’avance tant la cause me paraît juste. Mais je n’étais pas encore de cette bataille-là. Pas même un franc-tireur. Je pensais seulement à mes élèves.

Nous avions donc institué un moment dans la classe que nous avions appelé l ’ « Atelier de philosophie ». Un moment bien à nous, qu’à nous, où les élèves pouvaient se livrer intellectuellement sans crainte dans la sécurité du groupe. Ce n’était pas rien. L’atelier avait lieu le lundi après-midi avant la séance de sport, tous les quinze jours parce que les élèves suivaient en alternance une formation professionnelle en maçonnerie ou en peinture.

J’avais choisi le premier sujet. Il était issu du fichier bon marché : « La télévision est-elle le miroir de notre société ? ». Je ne le trouvais pas très philosophique -plutôt sociologique, mais il me paraissait adapté à un premier débat. Ils eurent des choses à dire. Cette première séance servit à élaborer les règles de fonctionnement de notre atelier (prise de parole, choix des thèmes, disposition de la classe etc.) en même temps que nous traitions le sujet.

Les grands principes de fonctionnement de notre atelier furent rapidement acquis. Une question faisait l’objet d’un débat collectif pendant cinquante minutes au maximum. Tous les élèves avaient obligation d’intervenir ainsi qu’ils l’avaient établi. Moi, je régulais les débats, accompagnant leur pensée ou aidant à la formuler, à la préciser, à la questionner. Je cherchais, à partir de leur argumentation, à leur faire interroger et clarifier les concepts dont ils avaient souhaité débattre ou qu’ils utilisaient. Je leur proposais parfois des citations ou des textes d’auteurs, pendant ou après la discussion, afin qu’ils conduisent toujours plus loin leur réflexion, qu’ils élargissent le champ de leur pensée ou qu’ils la mettent en écho avec celle des grands philosophes. Les échanges étaient souvent riches. Ils s’écoutaient et construisaient ensemble. C’était un véritable bonheur, pas un miracle, trois années de travail en commun durant lesquelles nous avions bâti une relation forte faite de confiance et de respect mutuels.

A la fin des débats, ils élaboraient ensemble le sujet de la séance suivante. Un moment fondamental qui leur avait permis d’apprendre rapidement à discerner ce qui appartenait au domaine philosophique. Je les aidais à formuler leur proposition sous une forme traditionnelle : « Qu’est-ce que la mort ? », « A-t-on le droit d’être violent ? », « Y a-t-il une justice ? », « La loi est-elle nécessaire ? » « A-t-on le droit de mentir ? », « La passion rend-elle aveugle ? », « Peut-on être libre ? », « Qu’est-ce que le bien et le mal ? » etc., furent quelques-uns des sujets qu’ils choisirent d’étudier.

Puis nous élaborions un texte synthétique qui reprenait les principales idées énoncées lors du débat. Il constituait la mémoire de leur réflexion, pas une réponse close. Ils apprirent à réfléchir, à douter, à interroger plus qu’à répondre. La rédaction avait lieu le plus souvent après la séance de sport. Il arrivait que le débat se poursuivît sous le regard complaisant et amusé du professeur d’Education Physique et Sportive. La discussion reprenait fréquemment lorsque la rédaction du résumé avait lieu le lendemain.

Ils rangeaient le texte dans leur classeur, sous une rubrique à part. Je ne sais pas ce qu’ils en faisaient. Là n’était pas l’essentiel.

Ils avaient quinze jours pour réfléchir au sujet du débat suivant, s’ils le souhaitaient. Moi, je profitais des deux semaines pour découvrir la littérature philosophique sur la question. Cela m’aidait à cerner les enjeux des discussions et à cadrer les débats. J’avais complété ma bibliothèque de quelques ouvrages thématiques.

Puis vint l’heure du bilan. Répondre à leurs besoins était certes louable, mais encore fallait-il que cela se traduisît en termes d’apprentissages. J’étais enseignant et j’avais une mission. Qu’apprirent-ils alors ? De très nombreuses choses dans des domaines aussi variés que le français, l’éducation civique, les compétences transversales, le « philosopher » plus que la philosophie etc. L’Institution s’en satisferait volontiers. Mais l’essentiel fut certainement ailleurs. Ils apprirent surtout à croire en eux-mêmes, en leur capacité à raisonner, à penser, celle-là même qui les avait conduits en ce lieu encore indiqué aujourd’hui sur les cartes comme un hôpital de campagne. Cette année-là, deux élèves obtinrent un C.A.P.[6], d’autres le C.F.G.[7], et l’un d’entre eux fut lauréat du très sélectif concours national du Printemps des poètes, catégorie Collège. Et nous fûmes reçus dans les salons dorés du ministère par le ministre de l’Education nationale lors d’un après-midi ensoleillé de remise des prix. Le même ministre que celui des crachats. La vie décrit parfois d’étranges cercles.

Mais au-delà des titres et des gloires personnelles, ils s’étaient humainement requalifiés. C’était bien là le plus important. Cela n’évita pas ponctuellement les crises et les conflits mineurs. Mais ils avaient construit des outils pour mettre à distance « les émotions lorsqu’elles devenaient trop fortes ». Une première victoire de la raison.

Pour autant les effets du travail de ces élèves ne pouvaient se réduire à ce simple atelier. Ils participaient certainement d’une pédagogie plus large et reposaient sur une relation unique qui s’était construite au fil des ans, de leur adolescence, de quatorze à dix-huit ans. Chacun avait appris à voir en l’autre avant tout une personne, un sujet. Je crois que nous étions heureux ensemble à l’école. Heureux de ce bonheur qui m’a conduit pendant toutes ces années, à parcourir cent cinquante kilomètres par jour pour retrouver notre classe.

A la fin de l’année suivante, j’abandonnais mon poste pour des fonctions que l’on me proposait, un soir, à deux jours de la sortie des classes. Le choix fut difficile. Lors de la longue nuit qui précéda ma décision, je me souvins de l’histoire de cette institutrice à la retraite que l’on avait surprise, le jour de la rentrée, pleurant en regardant les élèves à travers le grillage. On n’apprend pas à gérer cette part d’humanité en formation des maîtres.

Economie générale de l’atelier

Les débats se déroulaient tous les quinze jours en raison des modalités de fonctionnement de l’institut. Ils avaient lieu dans la salle habituelle avec la dizaine d’élèves qui constituait la classe. Il s’agissait d’adolescents ayant des difficultés scolaires massives liées à des problèmes sociaux importants, à des déficiences intellectuelles légères, à des pathologies mentales ou à des troubles psychologiques et du comportement.

Les tables rectangulaires étaient disposées de manière à constituer un carré afin que chaque participant puisse voir et être vu par l’ensemble des autres intervenants. Tout le monde se situait ainsi symboliquement à égalité de position ; y compris l’enseignant qui occupait une place aléatoire (rarement face à l’espace de la classe et le dos au tableau).

L’objet du débat était défini par les élèves lors d’un échange de quelques minutes, à la fin de la séance précédente. Il était formalisé au travers d’une question d’ordonnance classique avec, le cas échéant, l’aide de l’enseignant.

Chaque débat, d’une durée maximale de cinquante minutes, commençait par le rappel du sujet retenu. Celui-ci était noté au tableau afin de circonscrire le cadre symbolique de la discussion. Le tableau n’était pas utilisé à d’autres fins lors du débat.

La fréquence de l’activité offrait aux élèves la possibilité (peu ou pas inexploitée selon nous) de préparer le débats (recherche documentaire, discussion préalable etc.). Ainsi, s’agissant d’une activité orale, aucun objet ni document-ressource n’était généralement présent sur les tables bien que rien ne l’interdisait explicitement. Quelquefois une documentation à l’usage de l’enseignant était destinée à alimenter les échanges, à les interroger ou à les enrichir s’il y avait lieu (extraits de textes philosophiques ou citations d’auteurs en rapport avec le thème abordé).

Durant le débat, les élèves échangeaient entre eux afin de répondre à la problématique qu’ils avaient arrêtée. Tous avaient obligation d’intervenir à une reprise au minimum, conformément à la règle qui avait été établie par le groupe dans le but de favoriser les échanges et de permettre l’expression de chacun. Le débat était animé par l’enseignant. Celui-ci ne livrait jamais son opinion en raison de la valeur institutionnellement dogmatique ou axiomatique de sa parole. La nature (faire préciser une idée, une définition, leurs limites, aider à la formulation, interroger une opinion, un argument, recentrer un débat etc.) et le degré d’intervention de l’enseignant dans l’animation des échanges étaient très variables selon les discussions,. Ils dépendaient de l’objectif implicite de l’enseignant qui était d’amener les élèves au cours du débat à conceptualiser, c’est-à-dire à définir un concept et à en mesurer les enjeux à partir de la problématique de départ, de la confrontation des idées et de l’échange argumenté.

A l’issue de la séance, de la demi-journée ou éventuellement le lendemain, un texte de synthèse était élaboré collectivement par les élèves en classe. Il reprenait de manière synoptique les principales idées consensuelles et de dissension qui avaient été énoncées lors du débat.

Le fonctionnement de l’atelier est visible dans un documentaire vidéo qui relate l’expérience et montre l’un des débats qui a été conduit en classe cette année-là sur le thème « Peut-on être libre ? » : Bour T., Petit atelier de philosophie, vidéogramme, 20mn, CNDP, 2002.

Voir également l’article sur les enjeux pédagogiques et philosophiques de l’atelier présenté ici : Bour, T., « Philosopher rend-il intelligent ? », revue Diotime L’Agora, n°10, éd. CRDP Languedoc Roussillon/Alcofribas Nasier, Paris, juin 2001.


Notes

[1] Le secteur de l’enseignement spécialisé est appelé Adaptation et l’Intégration Scolaires.

[2] Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté. Une S.E.G.P.A. est constituée de classes de collège accueillant des élèves en grande difficulté scolaire.

[3] Institut Universitaire de Formation des Maîtres.

[4] Un Institut Médico-Educatif (I.M.E.) se divise en un Institut Médico-Pédagogique (I.M.P.) qui accueille des enfants atteints de handicap mental, et un Institut Médico-Professionnel (I.M.Pro.) qui prend en charge les adolescents. Ici les classes évoquées étaient constituées d’adolescents en échec scolaire massif. Leurs difficultés étaient principalement liées à des déficiences intellectuelles légères, à des troubles psychologiques ou du comportement, à des carences éducatives ou à des problèmes sociaux importants.

[5] Certificat d’Aptitude Pédagogique à l’Enseignement Secondaire.

[6] Certificat d’Aptitude Professionnelle.

[7] Certificat de Formation Générale.


Répondre à cet article