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Les débuts d’une expérience de formateur par Alain trouvé

Professeur de philosophie formateur à l’IUFM de l’Académie de Rouen
Publié le jeudi 5 juillet 2007.


Des rencontres décisives

D’abord professeur de philosophie en Lycée, je suis actuellement formateur à l’IUFM de l’Académie de Rouen, où j’interviens dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignants du premier degré. C’est à la faveur de plusieurs concours de circonstances que j’ai été amené à m’intéresser à la " Philosophie Pour Enfants " (PPE). Tout d’abord, en tant que philosophe de formation, je me suis interrogé sur la pratique de la philosophie auprès des publics autres que les élèves des classes de Terminale. C’est ainsi que j’ai pu intervenir au sein de la formation des Cadres-Infirmiers et à l’Ecole d’Infirmières au Centre Hospitalier du Rouvray (près de Rouen), ainsi qu’auprès des détenus de la Maison d’Arrêt de Rouen.

Au milieu des années 90, j’avais entendu parler de la pratique de la philosophie auprès des enfants, mais je n’avais aucune information précise. Puis il y eu la lecture d’un article concernant la philosophie à l’école qui a éveillé ma curiosité. Je me demandais alors s’il s’agissait vraiment de philosophie (car raisonner n’est pas philosopher pour autant) et, surtout, comment pratiquer auprès d’un si jeune public. Mais faute de contact réel avec des praticiens du Premier Degré, mon intérêt pour la PPE n’alla pas plus loin que mon manque d’expérience.

Plus tard, un certain nombre de rencontres, liées à mon statut de formateur, m’a donné envie et permis de m’engager dans un début de pratique. Ce fut d’abord, en 2000, celle de Marc Bailleul à l’IUFM de l’Académie de Caen. Marc Bailleul avait été à l’initiative, au cours de l’année scolaire 1997-1998 (avec un autre collègue mathématicien et deux professeurs de philosophie), d’un premier stage de Formation Continue d’une durée de quatre semaines à destination des enseignants du Premier Degré. Il avait eu l’avantage de pouvoir inviter, pendant toute la durée de ce stage, Richard Pallascio, un des représentants québécois du courant lipmanien. C’est grâce à cette rencontre que je fus convaincu qu’il était possible de faire quelque chose à la fois auprès des enfants et au sein de la formation des enseignants. Lors de cette rencontre, M. Bailleul m’a également appris qu’une école de Caen (l’école primaire Vieira da Silva) était, depuis la tenue de ce stage, très impliquée dans la pratique de la PPE, sous l’initiative de Gilles Geneviève, professeur des écoles. En attendant de pouvoir " faire quelque chose ", je me plongeais dans la lecture de Lipman (À l’école de la pensée) ainsi que dans celle de ses disciples canadiens (Marie-France Daniel, Richard Pallascio, Louise Lafortune).

L’autre rencontre capitale fut celle de Michel Tozzi qui, de passage à Caen en 2001, fit le détour à Rouen pour prendre contact avec une collègue de philosophie exerçant à l’IUFM (Nadia Lamm) et moi-même. En même temps que Michel Tozzi nous informait de ses nombreuses activités dans ce domaine, il nous invitait au premier colloque national " Faire de la philosophie à l’école, nouveaux publics, nouvelles pratiques ! ? ", qui s’est déroulé à l’INRP à Paris les 25 et 26 avril 2001. Les autres rencontres consécutives à ce colloque furent pour moi l’occasion de prendre conscience qu’il existait déjà diverses pratiques bien rodées de la PPE faisant l’objet de débats théoriques très passionnés.

Au niveau local, il nous a été donné, Nadia Lamm et moi-même, de faire la connaissance de Pascal Chevalier, alors instituteur en CM2. Pascal Chevalier a animé régulièrement pendant quelques années un atelier de philosophie auprès de sa classe. Il nous a invités à assister à l’une de ses séances, ce qui me permit de me rendre compte concrètement en quoi pouvait consister la pratique de la PPE. Ce que je vis renforça en moi le désir d’aller plus loin dans ce domaine.

Les premiers pas

Le passage à la pratique fut possible grâce à l’initiative et à la bienveillance d’un Inspecteur de l’Education Nationale. Monsieur Laguarda, en accord avec la direction de l’IUFM, nous permit de contacter des collègues vivement intéressés par la pratique de la philosophie avec les enfants. Nous avons pu ainsi programmer quatre rencontres de trois heures chacune.

La première eut lieu en janvier 2001 au siège de la circonscription et réunit une dizaine de personnes. Notre intervention a consisté à souligner la spécificité de la démarche philosophique en général, puis à faire un bref historique de la " philosophie pour enfants ", avant de présenter les différentes démarches possibles et de débattre, entre autres, à propos des thèmes philosophiques susceptibles d’être traités à l’école. Avant de nous séparer, nous avons distribué aux collègues une dizaine de textes philosophiques jugés emblématiques.

La seconde réunion eut lieu le mois suivant et fut l’occasion d’opérer un retour sur le questionnement philosophique, puis d’expérimenter la " Communauté de Recherche " à partir d’une question (" Existe-t-il plusieurs formes de justice ? ") suscitée par la lecture d’un extrait de la Bible (La justice du Roi Salomon) où, Nadia Lamm et moi-même, étions animateurs, l’un prenant en charge la discussion, et l’autre synthétisant les propos tenus. Cette première expérience nous confronta d’emblée aux difficultés propres à une telle pratique. Il fut en particulier difficile de ne pas trop intervenir au sein des échanges, de maintenir la discussion dans le cadre de la question retenue et d’éviter le " hors sujet ". Mais ces débuts nous parurent encourageants au regard de la participation active des collègues. Il faut dire que deux d’entre eux pratiquaient déjà dans leur classe un petit atelier de discussion (le " réfléchir ensemble "), inspiré par la pédagogie institutionnelle.

Les deux autres séances ont consisté à aller dans les classes afin d’expérimenter réellement auprès des enfants. Il s’agit d’abord pour les formateurs de " mettre la main à la pâte ", en l’occurrence pour moi dans la classe de CM2 de S. Nattier, et pour N. Lamm, en Grande Section, dans la classe de F. Bequet. Nous avions décidé de choisir comme base de discussion un même texte pour les deux classes. Les élèves avaient déjà été préparés à la lecture du texte dont ils allaient débattre le jour de la séance avec les formateurs. Les deux " Communauté de Recherche " (CR) ont été l’objet d’un enregistrement vidéo. J’avais délibérément choisi de ne pas préparer le texte en amont (par exemple, à partir d’une lecture attentive, dégager une problématique, des concepts dominants, etc.) afin d’être plus réceptif à la spontanéité des débats. Mais je me suis aperçu que ce n’était pas une bonne initiative car il me fut difficile d’éviter les redondances et les propos anecdotiques, éloignés de la question initiale. Par ailleurs, cette première expérience me fit également prendre conscience combien les aspects organisationnels et matériels étaient d’une grande importance : veiller au nombre et à la disposition des participants (Combien ? Se font-ils tous face ?) ; s’assurer des responsabilités et de la fiabilité du matériel (Qui distribue la parole ? Qui filme ? Le micro est-il bien branché ?, etc.). Décidément, pas plus qu’ailleurs, pratiquer la philo à l’école ne s’improvise pas ! La dernière séance fut menée en juin sous la responsabilité de Stéphane et de Françoise dans leur classe respective, à partir des mêmes textes précédents. Chose qui n’est pas si fréquente, nous pûmes, les enseignants et les formateurs, avoir des échanges à partir d’une expérience commune. Mais, faute de temps, le bilan de l’année fut reporté l’année scolaire suivante.

Lors de l’année scolaire 2001-2002, nous sommes intervenus à nouveau auprès de la même équipe dans le cadre des demandes des circonscriptions en formation auprès de l’IUFM, à raison de quatre séances. La première, qui eut lieu en octobre, fut consacrée au visionnage des séances réalisées au printemps précédent. La critique faite en commun nous permit de prendre conscience d’un certain nombre de difficultés et de paramètres à prendre en compte, tant du côté des élèves que de celui des adultes animateurs. Entre autres : la détermination de la durée des séances de la CR ; la question de savoir comment faire échanger les enfants entre eux au lieu qu’ils s’adressent uniquement à l’adulte ; le rôle de l’adulte (Doit-il intervenir ? De quelle manière ?, etc.). En tout cas, il m’est apparu que le maître doive avoir un rôle important dans le cadrage de la discussion et particulièrement auprès d’un jeune public.

La seconde rencontre auprès des collègues eut lieu en décembre et fut consacrée à la préparation de l’organisation des séances en classe sous la responsabilité des mêmes collègues du " terrain ". Ils ont eux-mêmes choisi le texte destiné à servir de base à la discussion, que nous avons expérimenté d’abord entre nous en CR. Le projet d’organisation d’un stage de Formation Continue destiné aux professeurs des écoles fut également à l’ordre du jour.

En avril 2002, nous assistions aux séances menées par les collègues dans les classes de Grande Section et de CM2. Je fus agréablement surpris de constater combien les élèves de la classe de CM2 avaient été capables de dégager du texte qui leur était proposé des thèmes ou des problématiques de nature philosophique (comme la jalousie, l’égalité et l’inégalité, la justice et l’injustice). Mais la difficulté résidait dans le fait de maintenir le débat au niveau d’une pensée générale qui échappe à l’anecdote. Quant aux enfants de maternelle, j’ai pu constater qu’ils étaient capables de s’écouter et de prendre la parole à tour de rôle, voire même, de propos critiques (" Je ne suis pas d’accord avec lui ").

La dernière rencontre en circonscription fut consacrée au bilan de l’expérience menée pendant l’année (très courte puisque nos interventions se limitent à douze heures par an).

La première rencontre de l’année 2002-2003 (qui se déroula en novembre) fut consacrée à une réflexion commune sur les apports de la PPE auprès des élèves en difficulté, car nous avons accueilli une nouvelle personne, stagiaire en formation AIS intervenant en français auprès d’une classe de Cinquième en SEGPA. La séance fut également consacrée à la préparation du stage de Formation Continue prévu en février 2003.

La seconde rencontre eut lieu le même mois. Comme nous projetions d’aller mener une séance dans la classe de SEGPA de la collègue, nous avons expérimenté entre nous le texte qui leur était destiné. Ce fut encore une fois l’occasion de nous interroger à propos des problèmes de didactique de l’atelier philo (comme la fidélité à la question retenue, le rôle de l’animateur, le respect du protocole) : de quoi s’autorise-t-on en tant que " maître " ? Jusqu’où aller avec un public non philosophe de formation ? Faut-il intervenir en formulant les concepts centraux ? En les explicitant ? En définissant des notions ?

En décembre, nous sommes allés expérimenter le texte extrait de Yacouba dans la classe de Cinquième SEGPA. La discussion qui eut lieu entre les élèves les conduisit à aborder les notions de courage et de lâcheté, la honte et la fierté, le respect de la vie, le regard des autres sur soi. Encore une fois, je fus surpris par la qualité de la réflexion dont firent preuve certains élèves, ainsi que par la bonne tenue du débat. Mais je constatai que les élèves étaint parfois gênés par le manque de vocabulaire pour exprimer leur pensée.

La dernière rencontre eut lieu en avril. Elle fut consacrée au bilan de l’année, en particulier à celui du stage de Formation Continue ainsi qu’au colloque de Balaruc, puisque j’y ai participé. Nous avons également décidé de poursuivre notre expérience sur le terrain et de l’enrichir par l’intégration de nouveaux collègues du Premier et du Second Degré. Une animation pédagogique sur le thème de la " Discussion à Visée Philosophique " (DVP) a même été programmée pour l’an prochain.

Un stage en formation continue

La demande de stage que nous avions faite l’an passé a été retenue. C’est ainsi que le stage en Formation Continue à destination des Professeurs des Ecoles, intitulé " Philosophie à l’école ", a pu se dérouler sur trois semaines, du 3 février au 7 mars (moins les deux semaines de vacances). Notre objectif était de faire découvrir aux dix-neuf enseignants participants ce qu’était la PPE, en leur procurant une expérience aussi large que possible. Nous avons donc programmé un ensemble d’activités s’articulant autour des entrées suivantes :
- La philosophie et la PPE ;
- Pratique de la CR à partir de supports variés (textes lipmaniens, textes empruntés à la littérature de jeunesse ou destinés aux enfants mais explicitement plus philosophiques, textes de philosophes, questions proposées par le formateur ou par les stagiaires) ;
- Rencontre avec des intervenants extérieurs ;
- Expérimentations dans les classes (deux fois) ;
- Expérimentation du rôle de l’animateur par les stagiaires ;
- Réflexions communes sur les contenus (que faire avec les enfants de tel ou tel âge ?) et les méthodes (comment s’y prendre ?), ainsi que sur la didactique de la pratique de la philo à l’école (questionner, conceptualiser, problématiser, argumenter) ;
- Recherche de sites sur Internet.

Le stage fut jugé très positif de la part des participants qui, bien sûr, n’ont pas hésité à nous faire part de leurs critiques et suggestions, dont voici les principales :
- Affiner les séances Internet ;
- Constituer un cahier de stage ;
- Concevoir des historiettes ;
- Travailler sur les documents théoriques distribués (articles de théoriciens et/ou praticiens) ;
- Expérimenter plusieurs pratiques (Brénifier, Lévine, etc.) à partir d’un même texte ;
- Constituer des fiches pédagogiques et établir des progressions (sic).

Inutile de préciser que le stage fut pour moi une expérience très enrichissante dans la mesure où il m’a confronté directement à la pratique sous diverses formes. Car, bien sûr, le tout n’est pas seulement de discourir, mais de " mettre la main à la pâte ". Expérience nécessaire pour nourrir en retour la réflexion et, pour le coup, expérimenter pour de bon. Par ailleurs, il me semble que le stage a été apprécié par le fait que nous avions décidé de laisser une large place aux échanges entre stagiaires et formateurs. Cela nous a paru important pour des personnes découvrant une nouvelle pratique.

Première intervention en AIS

Enfin, j’ai inauguré cette année 2004-2005 un petit atelier intitulé " Communauté de Recherche " (d’une durée de douze heures) auprès des enseignants en formation AIS (Adaptation et Intégration Scolaire). Les échanges avec les futurs enseignants spécialisés pour l’aide des élèves en difficulté ont permis de prendre conscience combien la pratique de la PPE pouvait être bénéfique pour eux. En effet, la DVP, par les exigences qu’elle impose et par la liberté qu’elle propose, est l’occasion pour ces enfants ou ces jeunes de se mettre sur la voie de la réconciliation avec soi, comme avec les autres.

Nous avons expérimenté une séance de DVP en CR, à partir de " L’anneau de Gygès " (extait de Platon, République II). Nous avons également débattu de la pertinence de la PPE auprès des élèves en difficulté, après le visionnage de la vidéo " Petit atelier de philosophie en classe d’IMPro " (sous la responsabilité de Thierry Bour). Les stagiaires ont compris que la PPE pouvait être un bon " outil " permettant de travailler tant au niveau de la restauration de la confiance en soi ou de l’estime de soi qu’à celui de la prévention de la violence. Mais le faible volume horaire qui m’a été alloué ne nous a pas permis de pousser l’expérience plus avant.


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