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Rencontre de la Philosophie par Gale Prawda

Publié le jeudi 5 juillet 2007.


J’ai rencontré la philosophie sans le savoir. Très tôt je me suis rendu compte qu’on me disait sur les choses ne correspondait pas à mes perceptions. En outre, j’ai commencé à lire dés l’ âge de 5 ans et vers 14 ans j’ai découvert les ouvrages de Nietzsche, Sartre, Camus etc. Je peux dire rétrospectivement que ces ouvrages philosophiques m’ont permis de comprendre et de voir la réalité autrement. J’étais donc impatiente de rentrer à l’université afin de pouvoir enfin discuter de philosophie. Ce goût du dialogue philosophique m’a mené jusqu’en France où j’ai soutenu ma thèse de doctorat intitulée L’Individu-Massifié avec Paul RICOEUR comme directeur de thèse. Dans cette thèse, je m’interrogeais sur la constitution de l’identité sociale. Mon approche était déjà multidisciplinaire puisque j’utilisais les philosophies existentielle et phénoménologique, la sociologique et la psychologique. A cette période, je commençais déjà à utiliser la philosophie pour répondre à des questions pratiques de nature psychologique ou sociale. Cependant, après ma soutenance de thèse en 1981, j’ai quitté le milieu universitaire, car enseigner la philosophie à l’université, dans le contexte de l’époque, me semblait trop restrictif parce que la philosophie me paraissait par trop réservée sauf à une poignée d’étudiants et d’universitaires initiés à son langage devenu par trop technique et professionnel et, de ce fait, inaccessible au commun.

Vers 1992 j’ai commencé à synthétiser mes diverses expériences professionnelles à l’aide de ma formation philosophique. Cela s’est traduit par la formalisation d’enseignements à destination d’élèves d’Ecoles de Commerce ou de formations pour les entreprises. C’est ainsi que j’ai développé un ensemble de cours sur : l’éthique et management, la responsabilité sociale de l’entreprise, le développement durable et la communication inter-culturelle interpersonnelle. A partir de 1996, j’ai participé à l’émergence du mouvement « café philo ». En 1997, j’ai découvert les « philosophes praticiens » qui sont surtout actifs en Allemagne, Hollande et Royaume Uni. La « philosophie dans la cité » a vraiment commencé à devenir une réalité pour moi avec l’ouverture de mon propre café philo en avril 1997 au Café de Flore grâce à Marc Sautet, fondateur du mouvement de café philo, ami et collègue. Notre rencontre huit mois avant fut le moment décisif qui décida de mon engagement dans cette démarche. Je me rappelle notre première conversation où je lui ai dit que le phénomène du café philo était ce que je cherchais depuis longtemps afin de rendre la philosophie plus accessible à tous. La philosophie m’a toujours paru être une discipline à la base de notre vie quotidienne qu’elle nous permet de comprendre. Cette nouvelle pratique du débat public dans un lieu public ouvert à tous a re-dynamisé ma passion pour la philosophie. Puisqu’il y avait déjà beaucoup de cafés philo à Paris, pour offrir quelque chose de différent, j’ai proposé à Marc SAUTET de monter un café philo en anglais pour un public anglophone et international. Le premier débat porta sur « Can people communicate ? ». Il fut animé selon la démarche de Socrate, le père de la philosophie, qui inventa un mode de questionnement pour la recherche de la vérité, qu’on appelle l’approche maïeutique. Le café philo est ainsi une sorte de forum public comme la « polis » d’Athènes où les citoyens grecs se réunissaient pour débattre des questions d’actualité. Six mois après (novembre 1997), je fus invitée à l’Institut Français de Londres, afin de présenter le café philo aux britanniques. Ce fut un succès immédiat qui amena le développement d’autres activités philosophiques (Pub philo, randonné philo, ouverture d’autres cafés philo) à destination du grand public.

Parallèlement, j’ai rencontré des philosophes praticiens/consultants européens, qui interviennent auprès de différents publics (enfants, managers, infirmières, médecins, enseignants, grand public, etc.) en utilisant une approche pratique de la philosophie. L’expression ‘philosophical practice’ (cabinet de philosophie) a trouvé sa naissance dans les années ’80 hors de l’université. Gerd B. Achenbach, philosophe allemand fut un des premiers à ouvrir un cabinet de philosophie. Achenbach explique que la différence entre la psychothérapie et la pratique philosophique. La première est une interaction entre deux rôles avec d’un côté le thérapeute et de l’autre le patient. La seconde est un dialogue interactif entre plusieurs personnes à égalité. [1]. De même, nous pouvons constater dans l’enseignement actuel que l’interaction entre élève et enseignant se caractérise par un échange entre rôles ( les élèves et le professeur ) et non entre personnes. Le rôle de l’enseignant est de transmettre la connaissance aux élèves qui la reçoivent. J’ai suivit plusieurs formations en 1998/99 et reçu une certification de consultant/conseiller philosophique avec SCP, U.K. (Society of Consultant Philosophers). Cette certification concerne deux démarches.

Consultation individuelle - où nous utilisons notre savoir-faire philosophique et le format du dialogue pour travailler avec le client[2]. Ce dialogue guidé amène le client de résoudre ses problèmes par son propre raisonnement.

Formation de groupe - où nous utilisons la méthodologie du dialogue socratique reprise par Léonard Nelson [3] qui est décrite comme une abstraction régressive qui part du vécu concret et arrive à la conceptualisation de celui-ci. Le dialogue socratique conçu comme une démarche d’abstraction régressive est une approche qui contraste par rapport à l’approche déductive du « café philo » de Sautet qui consiste à partir d’un concept et à l’interroger afin qu’il nous éclaire sur nos vécus. Cependant, dans les deux cas, nous philosophons sur la question posée la différence résidence dans le point de départ.

Faisant partie des animateurs de café philo, j’ai commencé de travailler avec la Fondation ’93 en fin 1997, en tant que philosophe attaché à des classes de SEGPA, avec mission d’apporter la réflexion critique à un public non habitué à cette démarche. Dans le projet de « Carré de Nature, Carré de Culture », j’ai adapté différentes méthodes de questionnements suivant le thème et la dynamique du groupe. J’ai même amené une de mes classes au Café de Flore pour débattre sur « Es-tu libre de tes pensées ? » question choisie par la classe elle-même.[4] Le projet « Carré de Nature, Carré de Culture », consiste en 4 à 5 interventions du philosophe auprès de telle ou telle classe, interventions au cours desquelles un thème est défini et traité. Chaque « philosophe-animateur » utilise ses propres méthodes pour aborder le thème ( cours, dialogue entre élèves sur le thème, supports vidéo, poésie, etc. ) et pour initier à la philosophie comme exercice de réflexion. Pour ma part, je commence toujours avec une approche générale sur la philosophie comme exercice de la pensée critique puis je traite du thème prévu. J’invite la classe à poser des questions sur le thème, et ensuite nous travaillons ensemble afin de trouver des réponses ; réponses qui amènent souvent d’autres questions etc. Les supports nous permettent d’approfondir le thème. Ainsi peu se formulent des questions et réponses et s’élaborent une argumentation. Par ailleurs, à la fin de la session, les élèves doivent produire quelque chose qui représente la démarche philosophique suivie. Par exemple, jusqu’en 2001, les élèves devaient réaliser une oeuvre 2m X 2m qui formalise leur réflexion, représentation qui visualise le processus de pensée mené sur le thème. Ainsi, une de mes classes de SEGPA, dont le thème était apprendre, fit un carré partant de l’homme primitif à l’homme moderne montrant comment les hommes ont appris. Depuis 2001, les classes produisent des écrits sous forme de maximes ou de questions. Ces productions sont mises en valeur car elles sont rendues publiques ( dans les écoles ou les mairies, ou les centres culturels, etc). Pour une bonne réussite de ce projet, le suivi de l’enseignant entre les séances est impératif.

Pourquoi ce besoin de la philosophie dans la cité ? Pour Socrate ‘une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue ». Nous vivons dans un monde très complexe où il y a très peu de place pour la réflexion. Nous avons les moyens les plus sophistiqués pour nous informer, mais nous n’avons pas les moyens intellectuels pour intégrer et pour filtrer toutes ces informations. Avec la remise en question des valeurs humaines et le déclin des influences religieuses traditionnelles nous avons donc besoin de démarches pour ramener la philosophie dans la cité afin de mieux ( se ) comprendre, de mieux vivre, pour (re)trouver un sens à nos vies. Plus précisément il s’agit de :

1) rendre la philosophie plus accessible pour pouvoir penser de façon critique ou distanciée afin de mieux comprendre le monde et soi-même. La philosophie nous permet de voir les différentes façons de réfléchir sur un sujet quelconque.

2) D’apprendre à penser car on n’apprend pas à penser ou bien on apprend à penser avec un but précis. Elle nous donne des outils de réflexion nécessaires pour analyser les phénomènes. La formulation des questions, arguments et jugements dépend de ces outils.

3) S’ouvrir l’esprit - sortir de la « doxa » ( l’opinion ) pour aller vers le « logos » ( la vérité ). La philosophie nous permet de questionner le pourquoi du comment.

4) Réfléchir sur les valeurs de la citoyenneté. Nous avons un héritage philosophique qui a contribué à fonder et forger notre civilisation. Cette pensée mise en pratique transparaît dans nos systèmes politiques, nos institutions, et notre vie sociale. Donc, la philosophie nous aide à comprendre la vie socio- politique et ses valeurs, car elle est à sa source.

Ces nouvelles pratiques philosophiques des années ’80 - ’90 sont issues des écoles philosophiques majeures du vingtième siècle. Husserl et la phénoménologie dans les domaines psychiatriques, Sartre et l’existentialisme dans les domaines de psychothérapie, Heidegger a inspiré Binswanger et Boss en psychiatrie ; Foucault, Rawls, Ricoeur deviennent des références pour évaluer des éthiques et analyser, sous l’angle de la philosophie morale et politique, les organisations et les entreprises. Cette liste n’est pas exhaustive. S’incérant dans l’histoire de la philosophie ces philosophes du XX e siècle ont permis l’émergence de ces nouvelles pratiques philosophiques qui nous amènent à revenir aux fondateurs de la philosophie occidentale : Socrate, Platon et Aristote. D’autre part, les philosophes praticiens d’aujourd’hui, ont senti le besoin de faire sortir la philosophie de l’université où l’histoire de la philosophie prime, et de la rendre plus accessible à tous revenant ainsi à Socrate qui philosophait avec tout le monde à propos de tout.


Notes

[1] Lahav, Ran et Tillmanns, Maria da Venza : Essays on Philosophical Counseling, University Press America Lanham 1995 p.63

[2] Ibid., Voir cet ouvrage qui présente plusieurs démarches parmi les nouvelles pratiques philosophiques depuis 1980. ‘Philosophical praxis’ est, pour les anglo-saxons, la « phliosophie appliquée ( applied philosophy ) En France cela correspond à la « philosophie pratique ».

[3] Leonard Nelson, (philosophe allemand) a développé cette méthodologie afin de combattre la montée de Nazisme par une enquête rigoureuse de la pensée basée sur un consensus. Voir “The Socratic Method” in Occasional Papers in Ethics and the Critical Philosophy, vol. 1, avril 1998, SFCP. SFCP (Society for the Furtherance of Critical Philosophy, U.K), PPA (Philosophisch-Politischen Akademie, Allemagne) ,GSP (Gesellschaft für Sokratisches Philosophieren,Allemagne ) et Dutch Association for Philosophical Practice, Pays Bas, sont tous les organismes qui promeuvent la méthodologie de Nelson et font des formations d’animateurs de dialogue socratique. Cette méthodologie peut s’adapter à plusieurs secteurs : l’éducation, la médicine, les affaires, le gouvernement, etc.

[4] ‘Le Dialogue socratique’ dans « Philo à tous les étages », 3è Colloque sur les nouvelles pratiques philosophiques Nanterre - juin 2003, CRDP de Bretagne, 2004. p. 86 -91. Une démonstration de pratique auprès d’une de ces classes.


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